La Fille de l’Archer
revers. Ce sont de redoutables combattants. Des guerriers d’un courage qui frise la folie…
« Comme les Vikings », se dit Wallah.
Le baron se tait, le regard perdu, scrutant des images qu’il est seul à voir.
Wallah, elle, écoute le chant des loups qui se rapproche. La meute remonte la piste.
— Il serait peut-être temps d’entamer vos fumigations ? suggère la jeune fille.
Ornan s’ébroue. Il fouille dans sa houppelande, en sort un sachet de cuir empli d’une poudre verte. Il en jette une pincée dans le feu. Une gerbe d’étincelles crépite tandis qu’un parfum piquant fuse alentour.
— Le vent est tombé, constate-t-il, il faut en profiter. Les émanations du parfum empêcheront la horde de suivre notre piste. Nous ne bénéficierons plus de cette protection si les rafales recommencent à souffler car elles balayeront les senteurs qui s’attachent à nos pas.
De sa besace, il sort un brûle-parfum alimenté par des charbons qu’il enflamme avant de disposer une nouvelle dose de poudre sur la coupelle réceptrice. Puis il attache ce pot à feu sur la luge.
— La fumée couvrira nos traces, explique-t-il. Une fois la truffe engourdie, les loups ne seront plus capables de nous retrouver.
Wallah sort du refuge à regret, tout en sachant qu’il aurait été imprudent de s’y attarder.
La course reprend. De temps à autre, Ornan regarde par-dessus son épaule pour s’assurer que le brûle-parfum répand toujours, dans leur sillage, son mince filet de fumée verte.
L’air glacé allume une brûlure dans les poumons de Wallah. Elle suffoque. Ornan ne vaut guère mieux. Essoufflé, il doit s’arrêter tous les cent pas pour reprendre sa respiration. À de tels détails on voit qu’il n’est plus jeune.
La jeune fille a l’impression d’avoir quitté le monde des humains. Elle songe que le Walhalla doit être à l’image de ce qui l’entoure. Un désert de neige et de glace qui frôle la voûte céleste. Elle a l’impression qu’en levant la main, on pourrait toucher la lune ou le soleil.
— Là ! fait soudain Ornan d’une voix rauque. Devant !
Éblouie par la réverbération, Wallah plisse les yeux. Elle discerne enfin des formes qui n’ont rien de naturel. Le sommet d’une tour, peut-être… Quant à cette espèce de mâchoire édentée, il doit s’agir du crénelage d’un chemin de ronde !
Le reste du château est submergé, serti dans la glace telle une pierre précieuse ; seuls les sommets de la construction demeurent visibles. À l’idée de la masse neigeuse que cela suppose, Wallah est gagnée par le vertige. Elle imagine sans mal ce qui se produirait si ce manteau instable se décrochait. L’avalanche, énorme, balayerait tout sur son passage. Arrivée au pied de la montagne, elle déracinerait la forêt des sorcières avant de poursuivre sa course vers le hameau des patarins.
Mais voilà que son attention est attirée par trois piquets qui lui barrent le chemin, érigés comme des poteaux frontière. Chacun est surmonté d’une boule de la taille d’une pastèque, blanchie par le givre. En arrivant à leur hauteur l’adolescente comprend son erreur. Les pieux supportent trois têtes humaines bleuies par le gel. Il y a là Gros-Nez, Robin et Arnolfo.
Les visages pétrifiés semblent monter la garde au seuil du manoir englouti.
Wallah s’arrête, le cœur battant. Au moins le message est clair. Elle sait maintenant ce qui l’attend si elle passe outre à l’avertissement.
— Viens, halète le baron. On ne peut rester plus longtemps dehors, on va crever, il faut trouver le moyen d’entrer.
Abandonnant la traîne au pied des remparts, ils récupèrent le paquetage et gagnent le chemin de ronde en creusant des marches dans la neige durcie. Une fois en haut, ils constatent qu’on ne distingue presque plus rien du manoir enfoui jusqu’à la hauteur des toitures. Les bâtiments se trouvent enterrés sous leurs pieds, au cœur du cocon de glace.
Le chevalier et l’adolescente gagnent une échauguette et, de là, cherchent à se tailler un chemin dans la neige, ce qui s’avère une tâche dont l’épée d’Ornan a peu de chances de venir à bout. Le baron s’immobilise, les muscles douloureux et le souffle court.
— Attendez ! lance Wallah. Si votre oncle vit encore ici, il a obligatoirement ouvert une tranchée quelque part, foré un tunnel. Il ne s’amuse pas à creuser une nouvelle galerie chaque fois qu’il veut
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