La Fille Du Templier
argent, tu le mérites
autant que moi. Sans toi, je n’aurais jamais trouvé ce loup. Tu t’achèteras une
robe et tu garderas le reste pour ta dot.
La Burgonde rougit de honte et de plaisir. Les hommes
cherchaient bien à s’attirer ses faveurs mais de là à se marier avec une muette
au nez cassé… Elle n’en connaissait aucun désireux de se mettre en ménage avec
elle.
Aubeline la laissa à ses pensées. Elle prenait conscience
des changements qu’elle pouvait apporter au château, surtout si elle parvenait
à engranger de bonnes récoltes et à entretenir des troupeaux. Il y avait des
bois à exploiter, de la chaux à produire, des olives à presser, du marbre à
extraire. Meynarguette avait vocation à devenir une grande forteresse. Bien que
cela l’ennuyât, elle écrirait au maître du Temple à Toulon afin d’obtenir le
droit d’exploiter les terres que son père avait cédées à l’Ordre lors de son
engagement, terres que le Temple, faute de paysans pour les travailler, laissait
à l’abandon.
Elle soupira. Il y avait tant de tâches à accomplir. Le
château moribond criait grâce. Elle était entourée de meubles vermoulus, d’écus
et d’armes rouillés, de pierres bancales, de portes qui ne fermaient plus, de
créneaux où veillaient de sinistres corneilles. Seule la herse fonctionnait
encore dans un crissement à vous faire grincer des dents et vous boucher les
oreilles. Meynarguette, dans son état actuel, même avec cent hommes pour le
défendre, ne résisterait pas une heure face à une troupe aguerrie.
La logique aurait voulu qu’elle abandonnât la maison de ses
ancêtres et qu’elle rejoignît l’opulente cour des dames où Bérarde et elle n’auraient
plus à se soucier du lendemain. Mais cette idée la révulsait ; elle
refusait de quitter le domaine que tant de preux chevaliers avaient défendu au
péril de leur vie.
— On va mettre l’argent à l’abri des convoitises, dit-elle.
Les caches ne manquaient pas. Elle se rendit dans le
souterrain où un puits avait été creusé. À cet endroit, on entendait gronder le
torrent qui courait dans les profondeurs. Elle se dirigea vers un mur, descella
deux grosses pierres avec son poignard et mit au jour une cavité dans laquelle
se trouvait un petit coffre de bronze. Il contenait des titres de propriétés et
de noblesse, un rouleau très abîmé écrit en araméen, manuscrit rapporté par
Guigo de Signes, héros de la première croisade, et remis à son grand-père. Il
relatait, selon le chevalier, un futur combat entre le peuple de la Lumière et celui des Ténèbres à l’issue duquel réapparaîtrait le Messie. Aubeline, bien qu’incapable
de déchiffrer un seul mot de cette écriture hermétique, croyait à cette
prophétie. Elle déposa les marcs dans le coffre et referma soigneusement la
cache.
Quand elle remonta à la surface, elle découvrit un homme
penaud face à une Bérarde menaçante qui brandissait une masse d’armes.
— Ah ! Dieu soit loué ! s’exclama-t-il en
voyant Aubeline. Te voilà enfin.
— Messire du Paumier, quelle mauvaise nouvelle nous
apportes-tu ?… Bérarde, n’as-tu donc pas reconnu notre bon Jean du Paumier,
l’écuyer et messager de notre comtesse ? Pose donc ton arme et va tirer du
vin. Je suis sûre que sire Paumier meurt de soif.
Bérarde abandonna sa masse à contrecœur. Elle se méfiait de
tout le monde depuis l’instant où maître Thorius leur avait donné la bourse
contenant les dix pièces d’or.
Soulagé, l’écuyer regarda la géante s’en aller vers la cave.
— Je ne crois pas que je pourrais parer ses coups, dit-il
en se forçant à sourire.
— Tu ne le pourrais pas. Même avec un bouclier. Que
viens-tu m’annoncer ?
— La guerre, demoiselle d’Aups. Voilà l’objet de ma
venue. La comtesse Bertrane, Stéphanie des Baux et les dames de la cour ont
décidé de prendre la tête d’une expédition contre le parti catalan. La comtesse
te demande instamment de rejoindre le ban.
— Les femmes vont donc se battre ?
— Oui, au grand désespoir du comte qui se sent trop
vieux pour mener la lutte contre nos ennemis. Ce soir, toute la noblesse se
réunira à Signes. Tu te dois de rejoindre l’assemblée.
À ce moment, Bérarde déposa des gobelets d’argile sur la
table et versa le vin aigre.
— À la guerre ! lança Aubeline.
— À la guerre ! répondit Jean du Paumier.
La Burgonde modela les signes belliqueux de la guerre et
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