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La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Thibaux
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les gagna. Elles pensèrent qu’on allait les punir
bien qu’elles n’eussent rien à se reprocher. Elles cherchèrent des yeux le
chapelain, témoin de leur bonne conduite et garant de leur foi dans le Christ. Le
bonhomme se tenait dans l’ombre d’un coin reculé et semblait réduit au rang de
valet. Il les encouragea d’un sourire. Sa mimique ne les aida en rien. Ces
hommes terribles couverts de crasse et de vermine, appuyés sur leurs grandes
épées, les effrayaient. Elles se tournèrent alors vers leur père, espérant un
secours. Le pauvre comte des Baux se tenait derrière sa femme ; il y avait
longtemps qu’il avait cessé d’exercer son pouvoir. Gerberge commandait. La
maîtresse femme trônait sur un fauteuil aux accoudoirs dorés, reléguant son
époux Gilbert avec les dames de compagnie de sa suite. Elle eut un profond
soupir de satisfaction en voyant ses filles apeurées et proprettes. Les
oisillons tremblaient sur leurs petites jambes grêles. L’affaire serait réglée
au plus vite.
    Douce et Stéphanie se figèrent à deux pas de leur mère, baissant
les yeux. Il y eut un moment de silence troublé par le seul crépitement des
flammes dans la vaste cheminée. Chacun retenait sa toux et son souffle. Gilbert,
mû par une soudaine volonté de s’imposer, s’avança vers ses filles et leur
souhaita la bienvenue en leur baisant le front. Le regard réprobateur de son
épouse lui fit rejoindre sa place. Puis Gerberge commença sur un ton enjôleur :
    —  Chato [1] nous avons pris une grande décision vous concernant. S’il plaît à Dieu, nous
vous marierons l’an prochain.
    Les deux sœurs crurent que le sol allait se dérober sous
elles. Leurs cœurs battirent la chamade à l’unisson. Douce s’empara de la main
de Stéphanie et s’y accrocha, chancelante. On disait tant de choses incroyables
sur le mariage. Par ce lien sacré, les femmes devenaient grosses et enfantaient ;
on racontait des abominations sur le péché de chair, les prêtres parlaient
souvent de perdition et d’enfer.
    Stéphanie défia sa mère du regard. Un instant à peine. Juste
le temps de sentir la froideur de cette femme qui souriait malicieusement en
ajoutant :
    — Douce, tu associeras notre nom à celui du comte de
Barcelone : Raymond Bérenger ; nos terres de Provence te reviendront
à notre mort. Quant à toi, Stéphanie, tu épouseras notre cousin Raymond des
Baux et tu garderas ce fief. Nous prendrons toutes les dispositions à ce sujet.
Qu’on en informe officiellement Sa Sainteté Pascal II sur-le-champ !
    Il y eut un claquement de ferraille. Les grands chevaliers
frappèrent le sol avec leurs épées, marquant ainsi leur approbation à cette
décision et leur soumission à la comtesse.
    — Père ! cria Stéphanie.
    Cela ne pouvait être. C’était un épouvantable cauchemar. Elle
ne voulait pas du cousin Raymond des Baux. C’était un batailleur de vingt ans, un
rustre qui bousculait les paysannes dans les foins et faisait pendre ceux qui
lui tenaient tête. Il passait son temps à festoyer, à tournoyer en rêvant d’anéantir
les infidèles, mais il ne se croisait jamais.
    Gilbert tenta d’intervenir, mais Gerberge l’empêcha de s’exprimer.
    — Mon ami ! Il y va de l’intérêt de la Provence. Qu’avez-vous donc à vous agiter ainsi ? Il en serait autrement si nous avions
une lignée de mâles… Dieu ne l’a pas voulu. Iriez-vous à l’encontre des
desseins du Tout-Puissant ?
    Douce et Stéphanie contemplèrent leur père penaud, vaincu
une nouvelle fois par cette diablesse. Il n’y eut personne pour les consoler ;
personne pour essuyer leurs larmes, personne pour froisser la susceptibilité de
la comtesse. Ce qui devait arriver arriva.
    Les deux Raymond ne tardèrent pas à se disputer les
héritages de leurs femmes quand Gerberge eut quitté ce monde. Raymond des Baux
le batailleur perdit la vie devant Barcelone, laissant Stéphanie à la tête d’un
pagus dévasté avec ses quatre fils.
     
    Stéphanie se reprit. Les bruits du camp se firent plus forts
dès que le soleil pointa son museau orangé à l’horizon. Les catins avaient
discrètement quitté les tentes. Pendant la journée, elles suivaient à distance
la colonne, à pied pour les plus modestes, à bord de chariots quand elles
appartenaient à une maquerelle. Stéphanie tolérait leur présence et les plaignait
sincèrement. Elles mouraient si jeunes, atteintes de maladies honteuses, honnies
de tous.

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