La Fin de Pardaillan
des yeux effarés, comme s’il doutait qu’elle eût tout son bon sens. Et très pâle, secoué par une indicible émotion, d’une voix sourde, il bégaya :
– Roi de France ! moi !… moi !… C’est impossible !…
– Pourquoi ? demanda Fausta du même air paisible. Et avec un sourire où perçait une pointe d’ironie :
– Douteriez-vous de votre droit ? N’auriez-vous pas foi en la justice de votre cause ?
– Non pas, par le sangdieu ! protesta d’Angoulême avec une énergie farouche. Vous l’avez très bien dit, madame : ce trône de France, il m’appartenait de droit !… On me l’a volé !… En le reprenant, je ne ferai que rentrer en possession de mon bien. Mais…
– Serait-ce, dit Fausta en accentuant l’ironie de son sourire, serait-ce que vous êtes dénué d’ambition ? Dois-je penser que vous n’avez jamais éprouvé un regret pour cette couronne qui devrait être à vous ? Dois-je penser que vous n’avez jamais songé à reprendre votre bien ?
Une flamme ardente s’alluma dans les yeux du duc d’Angoulême. Il reprit sa place dans son fauteuil, et levant les épaules, avec un accent de rude franchise :
– Si je vous le disais, vous ne me croiriez pas… Et vous auriez raison de ne pas me croire…
Et la regardant en face, en s’animant :
– Je ne pense qu’à cela, au contraire, et depuis longtemps !… Et c’est pour y avoir trop pensé que je viens de passer à la Bastille d’où vous venez de me tirer, dix longues, dix mortelles années… Les dix plus belles années d’une existence humaine… Reprendre mon bien dont j’ai été dépouillé, certes oui j’y pense et j’y penserai toujours. Mais c’est là une tâche formidable, hérissée de difficultés quasi insurmontables !
– Je reconnais, en effet, que la besogne est formidable et que vous ne pourriez l’accomplir seul, sans appui, réduit à vos seules ressources. Mais ce qui est impossible pour vous seul, devient faisable avec l’aide toute-puissante que je vous apporte.
Fausta paraissait très sûre d’elle-même et elle parlait de sa voix harmonieuse, si simplement persuasive. Mais le duc n’était pas convaincu. Il hochait la tête d’un air sceptique. Et cependant il était visible que l’ambitieux effréné qu’il était devenu ne demandait qu’à se laisser convaincre. Fausta le comprit. Elle sourit, sûre désormais de gagner la partie qu’elle venait d’engager. Elle reprit :
– L’aide toute-puissante dont je parle est celle que le roi Philippe d’Espagne, que je représente ici, s’engage, par ma voix, à vous donner.
En entendant parler du roi d’Espagne, le duc d’Angoulême eut un froncement de sourcils et se fit très froid. Fausta comprit encore que l’aide qu’elle offrait n’était pas de son goût. Cependant, comme si elle n’avait rien remarqué, elle fouilla dans son sein, en sortit les papiers qu’elle avait montrés à Concini et les lui tendit en disant :
– Voici les lettres royales qui attestent que je puis parler au nom de Sa Majesté Très Catholique et qui ratifient d’avance toutes les décisions que je jugerai utile de prendre. Lisez, duc : il est nécessaire qu’aucun doute ne subsiste dans votre esprit.
Le duc prit les parchemins et les parcourut d’un rapide coup d’œil. Il les garda un instant et demeura rêveur, calculant, hésitant, Fausta le regardait avec son calme immuable. Elle savait que l’ambition finirait par étouffer la voix de la conscience. Et de fait, le duc leva brusquement les épaules en grondant à part lui :
– Au diable les scrupules ! Qui veut la fin veut les moyens. Et tout haut, résolument, en lui rendant ses papiers :
– Que m’offrez-vous au nom du roi d’Espagne ? dit-il.
– De l’or, dit-elle. Autant d’or qu’il en sera besoin. Avant un mois, nous recevrons quatre millions qui doivent être en route présentement.
– C’est une somme, fit d’Angoulême. Pourtant, si considérable que paraisse cette somme, elle est insuffisante pour ce que nous voulons faire.
– Je le sais. Mais d’autres millions suivront. J’ai dit : autant d’or qu’il en sera besoin.
– Bien. Mais nous perdrons un mois à attendre ce premier subside, objecta d’Angoulême.
– Non, rassura Fausta, je suis riche, Dieu merci. Je puiserai dans mes propres coffres en attendant.
– Est-ce là tout ce que vous m’offrez de la part du roi d’Espagne ? fit le duc en
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