La Fin de Pardaillan
secouant :
– Parbleu ! fit-il avec force.
– Et moi, gronda Léonora d’une voix plus basse et en resserrant son étreinte, et moi, je te dis que tu te trompes, Concino : elle n’est pas morte !
– Allons donc ! railla Concini qui s’efforçait de demeurer incrédule, mais qui se sentait frissonner malgré lui.
– Tu te trompes répéta Léonora avec une effrayante assurance. Et s’animant d’une voix ardente, mais si basse, qu’il dut se pencher sur elle pour entendre :
– Insensé ! on voit bien que tu ne connais pas la signora comme je la connais, moi !… Si elle t’a parlé de la naissance de cette enfant, si elle t’a menacé de divulguer cette naissance et de déchaîner cet affreux scandale qui peut nous balayer tous, c’est qu’elle sait que l’enfant existe, elle sait où la trouver, elle.
– C’est impossible ! frémit Concini. Landry Coquenard n’était pas un traître alors. Je suis sûr qu’il a exécuté mes ordres.
– Ce Landry Coquenard s’est avisé d’avoir des scrupules et de faire baptiser l’enfant avant de la noyer. Tu ne savais pas cela, toi. La signora le savait, elle. Et moi, je te dis que ce Landry Coquenard a poussé ses scrupules jusqu’au bout : après avoir arraché l’enfant aux éternels tourments du purgatoire en lui faisant administrer le baptême, il l’a également arraché à la mort. Ceci est aussi vrai qu’il est vrai que le jour nous éclaire. Et tiens, une autre preuve.
La signora t’a promis de garder ton secret et de ne pas se servir de l’arme formidable qu’elle a entre les mains. Elle ne ment jamais, la signora. Mais elle a des manières à elle de dire la vérité. Pourquoi t’a-t-elle fait cette promesse rassurante qu’elle tiendra à sa manière ? Parce que ce n’est pas elle qui déchaînera le scandale, c’est l’enfant qu’elle aura armée et qu’elle lâchera sur toi. Et ceci, si tu veux bien réfléchir, est autrement formidable que si la signora agissait elle-même : toutes les âmes sensibles se mettront du côté de l’enfant qui se dressera en justicier devant son père et sa mère… le père et la mère dénaturés qui ont voulu la meurtrir.
–
Diavolo ! diavolo !
murmura Concini tout pâle et en tortillant nerveusement sa moustache, que faire ?
Une lueur de triomphe passa dans les yeux noirs de Léonora. Et avec une expression d’implacable résolution, elle prononça :
– Chercher cet enfant, la trouver, la saisir. Je m’en charge. J’ai des soupçons, de vagues indications au sujet de cette enfant. Si je ne me suis pas trompée, mes recherches ne seront pas longues. Avant quarante-huit heures, elle sera en notre pouvoir.
– Et quand nous la tiendrons, rayonna Concini déjà rassuré, nous saurons bien l’empêcher de parler ! C’est une excellente idée,
cara mia !
Elle vit qu’il n’avait pas compris. Elle ne broncha pas, elle approuva doucement :
– C’est cela, Concino, nous saurons l’empêcher de parler, nous ! Et le fascinant du regard, avec un sourire terrible, une lenteur effroyable, elle insinua :
– Mais rappelle-toi, Concino, qu’il n’y a que les morts qui ne parlent pas.
Cette fois, Concini ne pouvait pas ne pas comprendre. Il recula, livide, hagard, épouvanté.
Elle, elle le tenait toujours sous la puissance de son regard de feu, s’efforçant de faire passer en lui cette volonté de meurtre qui était en elle. Concini ne se débattit pas longtemps. Il y eut entre eux une minute de silence formidable, au bout de laquelle il capitula.
– Que dira la mère ? fit-il d’une voix sourde, étranglée. Car enfin, nous ne pouvons pas lui laisser ignorer…
– Je me charge de Maria, interrompit vivement Léonora. Je lui parlerai. Je lui ferai comprendre.
Concini eut une suprême hésitation. Et jetant bas, brusquement, les derniers scrupules, il consentit :
– Je m’en rapporte à toi.
C’était la condamnation à mort de sa fille qu’il prononçait là, et il le savait bien. Mais ne l’avait-il pas pareillement condamnée le jour où elle était venue au monde ? Seulement, cette fois-ci, c’était sa femme qui se chargerait d’exécuter la sentence. Elle ne montrerait pas, elle, les mêmes scrupules qu’avait montrés ce sacripant de Landry Coquenard.
Léonora enregistra l’ordre de mort d’un léger mouvement de tête. Un sourire livide glissa sur ses lèvres. Ce fut la seule manifestation de joie de la victoire
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