La Fin de Pardaillan
Valvert ?
– Ce que je t’ai répondu à toi-même, fit le roi d’un air sombre : A quoi bon faire arrêter Concini… puisque la reine régente, régente, entendez-vous ? le fera remettre en liberté aussitôt ?…
Et le roi éclata d’un rire strident, terrible.
– C’est différent, fit Valvert avec la même assurance paisible, mais la reine régente n’a pas le pouvoir d’empêcher un gentilhomme de provoquer le sieur Concini et de le tuer roide. Moi, par exemple, Sire, figurez-vous que je lui veux la malemort, que je ne serais nullement fâché de lui loger six pouces de fer dans le corps.
– C’est vrai, dit le roi, mais la régente aura le pouvoir de faire trancher la tête à celui qui aura occis Concini.
Et secouant la tête :
– Non, non, fit-il, il faut patienter. Dans quelques mois je serai majeur… Je serai le maître !…
Cette fois, le ton du roi était tel que Luynes n’osa pas insister. Et Valvert qui s’émerveillait de se voir du premier coup porté si avant dans la faveur du roi, qu’il n’hésitait pas à lui faire d’aussi graves confidences, imita son exemple.
Le trajet pour se rendre au Louvre était court. Quelques minutes suffirent pour l’effectuer. Le reste de ce trajet se fit en silence. Valvert se croyait de plus en plus sûr de tenir la fortune, se redressait avec fierté. Il eut même la joie de rencontrer les deux Pardaillan qui flânaient, ou qui paraissaient flâner toujours. Et il s’amusa beaucoup de leur air ébahi, quand ils le reconnurent chevauchant à la gauche du roi.
Le roi s’arrêta à une vingtaine de pas de la porte de ce Louvre où Valvert s’apprêtait à entrer en conquérant.
– Monsieur, dit-il, je vous remercie de m’avoir escorté jusque-là. Vous garderez le cheval que vous montez en souvenir de notre rencontre. Et retenez bien ceci : Si vous avez besoin de me voir, de jour ou de nuit, venez au Louvre ou en toute autre maison royale où je me trouverai. Vous n’aurez qu’à prononcer votre nom. Vous serez immédiatement introduit près de ma personne. Au revoir, comte.
Ayant prononcé ces mots avec une grande amabilité, Louis XIII rendit les rênes et, au trot, alla s’engouffrer sous la porte monumentale de sa maison royale du Louvre.
q
Chapitre 7 D’ANCIENNES CONNAISSANCES
O det de Valvert demeura cloué sur place, tout étourdi de ce dénouement imprévu. Il tombait du haut de ses illusions dorées. La chute fut d’autant plus rude qu’il s’était élevé plus haut. Il en demeura un long moment tout meurtri. Puis, sa mauvaise humeur éclata en une série de jurons furieux :
– Peste, fièvre, accident de malemort, foudre et tonnerre !…
Il se sentit soulagé. Il se ressaisit peu à peu. Il murmura avec une intraduisible grimace de dépit :
– Heu ! je commence à croire que c’est décidément M. de Pardaillan qui a raison ! La fortune, à ce qu’il me semble, est une déesse capricieuse et cruelle qui vous aguiche, vous excite, semble se donner à vous, et vous glisse entre les doigts quand vous croyez la tenir, et s’enfuit prestement en se moquant de vous.
Et se secouant, avec cette indestructible confiance qu’on n’a qu’à vingt ans :
– La prochaine fois, je réponds qu’elle ne me faussera pas compagnie !… Je l’étranglerai plutôt avec son unique cheveu.
Il fit volter son cheval pour revenir rue Saint-Honoré et se remettre à la recherche de la jolie bouquetière. Et oubliant sa déconvenue, il éprouva une véritable joie d’enfant à la pensée qu’il était le propriétaire de la bonne et vigoureuse bête qu’il montait et dont il se proposait d’étudier sérieusement les défauts et les qualités. Il n’alla pas loin. Il rencontra les Pardaillan que la curiosité, sans doute, avait amenés aux environs du Louvre. Il mit pied à terre et les aborda.
Derrière les Pardaillan, marchait un pauvre diable coiffé de quelque chose d’informe, à quoi il était impossible de donner le nom de chapeau, drapé dans une loque trouée, effilochée, que relevait par derrière une immense colichemarde, et dans laquelle il dissimulait son visage. En apercevant Odet de Valvert, l’homme s’arrêta, ôta son chapeau, et la bouche fendue par un sourire large d’une aune, se cassa en deux dans une révérence qui ne manquait pas de correction, voire d’une certaine élégance. Dans ce mouvement, il mit à découvert la longue et maigre figure, les yeux
Weitere Kostenlose Bücher