La Fin de Pardaillan
dans l’estime du lecteur.
Odet de Valvert était un aventurier. Nous entendons aventurier dans le sens de « chercheur d’aventures », qui était le sien alors, et non dans le sens que nous lui donnons aujourd’hui et qui se prend en mauvaise part. Nous rappelons que les Pardaillan, qui le connaissaient, avaient assuré qu’il était pauvre et était venu à Paris dans l’intention d’y chercher fortune, ce qu’il négligeait de faire pour suivre la petite bouquetière des rues. Si nous nous en rapportons à son costume très propre, mais quelque peu fatigué, même rapiécé par-ci, par-là, nous en concluons qu’il commençait à se faire temps pour lui de mettre enfin la main sur la capricieuse déesse à l’unique cheveu.
Lorsque Valvert avait vu le roi violemment projeté sur le pilori contre lequel il devait s’écraser, il s’était élancé sans réfléchir. A ce moment, nulle arrière-pensée intéressée n’était en lui. Il avait simplement suivi l’impulsion de sa nature bonne et généreuse. Il avait réussi un tour de force remarquable et il avait sauvé une existence humaine. Il n’en vit pas davantage sur le moment et il n’éprouva que cette satisfaction pure que donne la conscience d’avoir accompli une bonne et belle action. Mais la réflexion vint après. Le désintéressement disparut, la satisfaction fit place à une joie extravagante, qu’il ne parvenait pas à refouler complètement. Odet de Valvert se disait :
– Mais… mais… mais c’est le roi que je viens de sauver !… Et moi qui l’oubliais, triple étourneau que je suis !… Le roi ! ventrebleu, j’ai sauvé le roi !… Du coup, ma fortune est faite ! La reconnaissance du roi ne saurait manquer de se traduire par le don d’une charge honorable et productive à la cour !… Et M. de Pardaillan qui me soutenait que la fortune est insaisissable pour nous autres, aventuriers… C’est pourtant bien facile !… Riche, je vais pouvoir restaurer Valvert qui tombe en ruines… J’épouserai cette adorable Muguette… si elle veut de moi. Nous nous retirerons à Valvert qui touche à Saugis et à Vaubrun, et nous vivrons la saine existence du gentilhomme campagnard, chassant avec Jehan de Pardaillan, qui est devenu mon cousin de par son mariage avec Bertille de Saugis, ma cousine ! Ventrebleu, la belle existence que nous allons mener !…
Ainsi rêvait, tout éveillé, Odet de Valvert. Et, quant à nous, nous avouons que nous ne nous sentons pas le courage de lui faire un crime des rêves dorés auxquels il se livrait.
Cependant
,
malgré sa rêverie il vit fort bien que le roi, avant de partir, le cherchait du regard. Et il se hâta d’approcher, de plus en plus persuadé qu’une averse de faveurs allait s’abattre sur lui. Du reste, les premières paroles du roi le confirmèrent dans cette idée qui, à tout prendre, était bien naturelle.
– Monsieur, lui dit-il avec un gracieux sourire, le roi de France vous doit la vie. Tenez pour assuré qu’il ne l’oubliera pas. Votre nom, monsieur ?
Tout raide, le front rayonnant, une flamme d’orgueil au fond des prunelles, Valvert répondit :
– Le gentilhomme à qui Votre Majesté fait l’insigne honneur d’adresser la parole s’appelle Odet, comte de Valvert.
Le roi parut réfléchir un instant. Il était jeune. Il n’avait pas encore appris à bien dissimuler. Ce jeune homme lui plaisait, et il le laissait voir ingénument. Par contre, Luynes et Montpouillan pinçaient déjà les lèvres, montraient cette mine aimable de dogues hargneux, qui voient un intrus approcher de trop près leur pâtée.
Valvert n’y prit pas garde. Il ne voyait que le sourire que le roi lui adressait, le regard qu’il fixait sur lui. Et comme ce sourire et ce regard, étaient des plus bienveillants, il se disait :
« Il cherche quel poste magnifique il va me donner à sa cour !… Sûrement, il va me dire de l’accompagner au Louvre !… C’est la fortune, la fortune !… »
.
En effet, le roi prononça :
– Monsieur le comte de Valvert, vous êtes de mon escorte.
En même temps il se retournait et faisait signe à un de ses pages. Celui-ci mit aussitôt pied à terre et vint présenter sa monture à notre amoureux, qui sauta lestement en selle.
– Mettez-vous ici, à ma gauche, comte, indiqua le roi.
Le comte Odet de Valvert, à moitié ivre de joie et d’orgueil, prit la place que lui assignait le roi. Et il ne vit pas le regard
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