La Fin de Pardaillan
singulièrement vifs et fureteurs, le sourire astucieux de Landry Coquenard. Il se rendit compte que celui qu’il venait de saluer ne l’avait vu. Il remit le chapeau sur la tête, ramena les pans du manteau sur le nez et attendit à distance respectueuse.
– Eh ! cousin de Valvert, disait Jehan de Pardaillan avec un sourire affectueux, vous voilà donc en faveur, que nous vous avons vu caracolant à la gauche du roi ?
Jehan de Pardaillan avait parlé assez haut ; Landry Coquenard, de sa place entendit.
– Bon, se dit-il, le gentilhomme qui m’a sauvé deux fois, en me tirant des griffes des suppôts de Concini d’abord, en me donnant cette bourse qui va me permettre de vivre une bonne quinzaine ensuite, s’appelle M. de Valvert et est le cousin de M. de Pardaillan que j’ai connu il y a quelques années, alors qu’il n’avait d’autre nom que le nom de Jehan le Brave. Cela me suffit pour l’instant.
Et Landry Coquenard s’en retourna sans se presser vers la rue Saint-Honoré.
Odet de Valvert, à la demande de son cousin Jehan de Pardaillan, avait répondu par une moue de dépit, qui avait amené un furtif sourire sur les lèvres de Pardaillan, lequel se contentait d’écouter et d’observer sans rien dire. Sans remarquer cette moue et sans lui laisser le temps de répondre, Jehan reprenait, avec une attitude et une mine où l’on sentait une affectueuse sollicitude et non pas une banale curiosité :
– C’est à vous, ce cheval ?
– Oui, mon cousin.
– Belle bête, fit Jehan en fin connaisseur qu’il était. Et avec la même sollicitude, avec une joie sincère :
– Ca, comte, vous voilà donc sur le chemin de la fortune ? Contez-nous ce qui est arrivé, que nous nous réjouissions avec vous. Nous vous avons vu passer tout à l’heure escortant le roi.
– Même, intervint Pardaillan qu’en passant près de nous, vous m’avez jeté un regard triomphant qui voulait dire : « Vous voyez bien, vieux radoteur… »
– Oh ! monsieur de Pardaillan, protesta Valvert avec toutes les marques du plus profond respect.
– Vieux radoteur est de trop ? fit Pardaillan avec un sourire malicieux. Soit, je le retire. Vous m’avez donc regardé d’un air de dire : « Vous voyez bien qu’il n’est pas aussi difficile de faire fortune que vous le prétendez ! »
Et, prenant un air sévère :
– Oserez-vous soutenir que ce n’est pas cela que votre regard m’a dit en passant ?
– C’est vrai, monsieur, avoua franchement Valvert, et je m’excuse de ma présomption.
– Bon, fit Pardaillan, qui reprit son sourire malicieux, péché avoué est à moitié pardonné. Cependant, vous méritez une leçon. Et, pour vous punir, c’est moi qui vais, en quelques mots, raconter ce qui vous est arrivé.
– Je vous écoute, monsieur.
– Vous avez sauvé la vie au roi. Le roi a voulu vous récompenser « royalement ». Il vous a fait l’insigne honneur de vous inviter à vous placer à sa gauche et à l’escorter jusqu’au Louvre. Vous, naturellement, vous avez cru votre fortune faite du coup. De là, ce regard de triomphe avec lequel vous pensiez m’écraser. Arrivé à la porte de son logis, le roi vous a congédié en vous gratifiant de quelques paroles aimables. Moi
,
qui me doutais bien que l’affaire se terminerait ainsi, je vous ai suivi pour en avoir le cœur net. Et voilà toute l’histoire.
– C’est tout à fait cela ! s’émerveilla Valvert.
– Pardon, reprit Pardaillan, j’oubliai : le roi a eu la générosité de vous faire don de ce cheval. Avec les harnais, j’estime qu’un maquignon point trop juif vous en donnera bien cent cinquante pistoles.
Et avec un de ces sourires qui n’appartenaient qu’à lui, il ajouta :
– Quinze cents livres, à tout prendre, ce n’est point une trop mauvaise affaire pour vous, mais par Pilate, on ne peut pas dire que le petit roi s’estime lui-même à un haut prix.
Et, redevenant sérieux :
– A présent, mon enfant, donnez-nous des détails.
Odet de Valvert donna les détails que lui demandait Pardaillan. Il glissa, avec une modestie qui fut remarquée des Pardaillan attentifs, sur le joli tour de force qu’il avait accompli en recevant le roi dans ses bras. Il se moqua de lui-même avec bonne humeur et non sans esprit, au sujet des illusions qui avaient été les siennes, quand il avait cru que la reconnaissance du roi se manifesterait par le don d’une charge importante à
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