La Fin de Pardaillan
bras que Louis XIII était tombé.
Le choc avait été effroyable. Le jeune homme avait vacillé comme un jeune chêne secoué par l’ouragan. Il avait vacillé, mais, comme le chêne, il avait tenu bon, il n’était pas tombé, il n’avait pas lâché le roi qui n’avait pas perdu la tête mais qu’un étonnement prodigieux submergeait : étonnement de se voir sain et sauf, alors qu’il avait cru un instant que c’en était fait de lui, que rien ne pouvait le sauver. Il avait tenu bon et, ayant repris son aplomb, il déposa doucement le roi sur ses pieds.
Et tout de suite, pendant que le roi se secouait, encore tout effaré, oubliant toute étiquette, oubliant de se découvrir, d’une voix que l’angoisse étreignait :
– Vous n’avez pas de mal, au moins ? dit-il.
Et c’était admirable, cet oubli de soi. Le roi le sentit d’instinct. Si bien qu’oubliant l’étiquette de son côté, non sans admiration :
– Non, ma foi, dit-il. C’est plutôt à vous qu’il faut demander cela. C’est que vous avez été rudement secoué.
– Moi non plus, répondit Valvert. Et, avec un rire clair :
– Je suis désolé, Dieu merci.
– C’est fort heureux pour moi ! sourit le roi.
Voilà pourquoi, pour la troisième fois en cette matinée, le populaire acclamait celui qu’il avait tout de suite appelé le « damoiseau ». Cette acclamation acheva de ramener Valvert au sentiment des convenances. Il se découvrit en un geste large et, de sa voix claironnante, lança à pleins poumons :
– Vive le roi !…
– Vive le roi !… répéta la foule comme un seul homme, avec un enthousiasme délirant.
La minute qui suivit fut une de ces minutes exquises qu’un homme ne saurait oublier de sa vie, fût-il empereur ou roi et vécût-il l’âge avancé du Mathusalem de biblique mémoire. La foule se précipita sur le roi pour le voir de près, le toucher, s’assurer qu’il n’avait aucun mal. Et elle témoignait son attachement par des questions d’une familiarité touchante, des exclamations naïves. Si bien que le roi dut la rassurer.
– Ce n’est rien, mes amis, dit-il, ce n’est rien.
Et il ajouta, en adressant un sourire à Odet de Valvert :
– … Grâce à monsieur, qui, sans qu’il y paraisse, a hérité de la force de messire Hercule lui-même.
Des acclamations sans fin accueillirent ces paroles. Le pauvre petit roi, que tous abandonnaient, à commencer par sa mère, sentait son petit cœur se dilater, sous la chaude caresse de cette tendresse populaire qu’il n’avait jamais soupçonnée jusqu’à ce jour. Et sa joie puérile éclatait sur son visage. Ce qui redoublait les transports d’allégresse du brave populaire.
La suite du roi s’était précipitée vers lui, Luynes et Montpouillan en tête.
– Ah ! sire, quelle peur j’ai eue ! s’écria le marquis de Montpouillan.
– S’il était arrivé malheur à Votre Majesté, je me fusse passé mon épée au travers du corps, assura Luynes qui était très pâle et paraissait sincère.
Tous les deux étaient bouleversés. Il est probable qu’ils pensaient surtout à eux et que l’intérêt et non l’amitié causait cette émotion. Il croyait à leur amitié, lui. Il en fut très touché. Et il s’attendrit.
– Vous êtes de braves et fidèles amis, dit-il. Rassurez-vous, nous en seront quittes pour la peur.
– Heureusement, s’écria Luynes tout haut. En lui-même, il ajoutait :
– Pour moi !…
Et il s’empressa de donner des ordres pour arracher au plus vite le roi à ces effusions populaires qui ne lui convenaient guère. On ramena son cheval au roi. Comme si de rien n’était, il sauta légèrement en selle. Avant de rendre la main, il chercha Odet de Valvert des yeux.
Celui-ci n’était pas loin. Il se tenait à deux pas de là, raide, un peu pâle, le regard étincelant. Il paraissait soulevé par une joie puissante, et de temps en temps, il glissait un regard triomphant sur Brin de Muguet qui, en enfant de la rue qu’elle était, s’était encore faufilée au premier rang et ne faisait guère attention à lui, attendu qu’elle n’avait d’yeux que pour le roi.
Quelle était la cause de cette joie si forte qu’il en était tout pâle et comme oppressé ? C’est ce que, fidèle à notre règle d’impartialité absolue, nous allons dire sans plus tarder, sans nous inquiéter de savoir si cette révélation ne sera pas de nature à faire baisser notre personnage
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