La Flèche noire
Selden, cria le chevalier.
Et quelqu’un de sa suite amena un pauvre vieux affaissé, pâle comme une chandelle, tremblant de la fièvre des marais.
– Maraud, dit Sir Daniel, ton nom ?
– Plaise à Votre Seigneurie, répondit l’homme, je m’appelle Condall… Condall de Shoreby, au service de Votre Seigneurie.
– J’ai eu de mauvais renseignements sur vous, répliqua le chevalier. Vous trahissez, coquin ; vous chapardez dans tout le pays ; vous êtes fortement soupçonné de plusieurs meurtres. C’est de l’audace, mon gaillard ! mais je vais y mettre bon ordre.
– Mon très honorable et très révéré seigneur, s’écria l’homme, il y a là quelque méli-mélo, sauf votre respect. Je ne suis qu’un pauvre homme, et n’ai fait de mal à personne.
– Le sous-sheriff a donné sur vous les plus mauvais renseignements, dit le chevalier. Saisissez-moi, dit-il, ce Tyndal de Shoreby.
– Condall, mon bon seigneur ; Condall est mon pauvre nom, dit le malheureux.
– Condall ou Tyndal, c’est tout un, répliqua tranquillement Sir Daniel. Car, par ma foi, je vous tiens, et j’ai les plus grands doutes sur votre honnêteté. Si vous voulez sauver votre tête, écrivez-moi vite une reconnaissance de vingt livres.
– De vingt livres, mon bon seigneur ! s’écria Condall. C’est de la folie ! Tout mon avoir ne monte pas à soixante-dix shillings.
– Condall ou Tyndal, répliqua Sir Daniel en ricanant, je courrai le risque de cette perte. Écrivez-moi vingt, et, quand j’aurai recouvré tout ce que je pourrai, je serai un bon maître pour vous, et je vous ferai grâce du reste.
– Hélas ! mon bon seigneur, ce n’est pas possible ; je ne sais pas écrire, dit Condall.
– Bon, répliqua le chevalier, alors il n’y a pas de remède. Pourtant, j’aurais voulu vous épargner, Tyndal, si ma conscience l’avait permis. Selden, portez-moi ce vieux sorcier doucement jusqu’au premier orme, et pendez-le-moi gentiment par le cou, que je le voie en montant à cheval. Au revoir, bon maître Condall, cher maître Tyndal ; vous voilà en route pour le paradis ; portez-vous bien.
– Oh, mon très gracieux seigneur, répondit Condall en s’efforçant de sourire, si vous le prenez de si haut, et ça vous convient très bien, tout de même, je ferai tout ce que je pourrai pour vous obéir.
– Ami, dit Sir Daniel, vous écrirez maintenant le double. Allez ! vous êtes trop malin pour ne vivre que sur soixante-dix shillings. Selden, vois à ce qu’il m’écrive ça en due forme, et devant témoins.
Et Sir Daniel, qui était un très joyeux chevalier, le plus joyeux d’Angleterre, prit une gorgée de son ale tiède, et se renversa en souriant.
Cependant le garçon sur le plancher se mit à remuer, et aussitôt s’assit, et regarda autour de lui d’un air effaré.
– Ici, dit Sir Daniel ; et, comme l’autre se levait à son commandement, et s’avançait lentement vers lui, il s’appuya en arrière et éclata de rire. Par la croix, cria-t-il, quel hardi garçon !
Le garçon devint rouge de colère, et lança de ses yeux noirs un regard de haine. Maintenant qu’il était debout, il était plus difficile de déterminer son âge. Sa figure avait une expression plus âgée, mais délicate comme celle d’un jeune enfant ; la structure du corps était extrêmement grêle, et la démarche un peu gauche.
– Vous m’avez appelé, Sir Daniel, dit-il. Était-ce pour rire de ma pauvre mine ?
– Non, laissez-moi rire, dit le chevalier. Laissez-moi rire, je vous dis. Vous ririez vous-même si vous pouviez vous voir.
– Bien, dit le garçon, tout rouge, vous répondrez de ceci comme vous répondrez du reste. Riez tant que vous le pouvez encore.
– Voyons, nous sommes cousins, répondit Sir Daniel, d’un ton plus sérieux ; ne croyez pas que je me moque de vous, si ce n’est par plaisanterie, comme entre parents et bons amis. Je tirerai mille livres de votre mariage, allez ! et j’ai la plus grande affection pour vous. Je vous ai enlevée brutalement, c’est vrai, les circonstances l’ont voulu ; mais dorénavant, je prendrai soin de vous généreusement, et vous servirai de bon cœur. Vous serez M me Shelton… lady Shelton, par ma foi ! car le garçon promet. Fi ! il ne faut pas avoir honte d’un rire honnête ; cela chasse la mélancolie. Ce ne sont pas les coquins qui rient, cousine. Ami l’hôtelier,
Weitere Kostenlose Bücher