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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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comme les Justes ! Mais, à ce moi profond qui ne tolère ni mensonge ni faux-fuyant, je ne peux qu’avouer la vérité :
    «  Je ne sais pas . »
     
    Certes, j’ai une réponse toute prête : à l’époque, j’étais moi-même de l’autre côté des barbelés, du côté des persécutés, du côté de ceux qu’il fallait sauver. Mais le moi profond ne saurait se satisfaire de ce type d’excuse ; si, en effet, la nécessité de devenir un sauveteur ne pouvait pas, à l’époque de la Shoah, se présenter pour moi, elle peut très bien me concerner demain. Peut-être même dès aujourd’hui.
    Soumis à ces vagues successives de questions sans réponse et d’introspections de plus en plus pressantes, j’ai pensé à Raymond Halter comme on rêve, en pleine tempête, d’une bouée de sauvetage.
    Raymond Halter est un curé que j’ai rencontré voici quelques années en Alsace, dans sa paroisse de Benfeld. Peut-être nos ancêtres, originaires de la vallée de la Bruche, ont-ils appartenu jadis à la même famille.
    Il ne s’agit pas ici de transférer mes doutes et mes interrogations sur un autre Halter – en espérant que, catholique, il pourrait plus facilement y répondre. La Bible ne dit pas : Je mets devant vous la vie et la mort…, mais bien : «  Je mets devant toi la vie et la mort  » – comme pour souligner, si nous ne l’avions pas encore compris, que tout choix, et surtout un choix de cette nature, est individuel. Chacun de nous est tenu d’en prendre la responsabilité devant Dieu, ou devant les hommes, ou encore devant sa propre conscience.
    Ce désir soudain d’interroger un Halter sur sa conduite pendant la guerre correspond, me semble-t-il, à la volonté de vérifier une fois encore le bien-fondé de mes remarques à propos des Justes.
    Après tout, cet homme porte mon nom !
    Durant des semaines, j’ai en vain cherché sa trace. Il avait quitté son diocèse alsacien, et nul ne savait pour quelle destination. En Alsace, j’ai interrogé à son sujet des dizaines de Halter, tout étonnés d’apprendre qu’ils avaient un cousin juif. Ces difficultés ont eu pour effet d’exciter ma curiosité. L’opiniâtreté aidant, j’ai fini par le retrouver, debout devant son église. Sur le fronton de celle-ci, une inscription toute simple : Notre-Dame-d’Afrique .
     
    Plus qu’une paroisse, Notre-Dame-d’Afrique est l’un des centres éducatifs les plus importants d’Abidjan. Quand j’arrive, des centaines de jeunes Africains jouent sur un terrain immense qui s’étend de la chapelle jusqu’aux rives de la lagune Ébrié. Hormis son habit, l’homme que j’ai connu jadis n’a pas changé.
    En Alsace, Raymond Halter portait soutane. Ici, en Afrique, il arbore une chemise à fleurs. Seule une croix de bois, en pendentif sur sa poitrine, indique sa foi. Le père Halter est un homme robuste, au visage massif. La douceur et la clarté de son regard laissent souvent filtrer, derrière les lunettes, des lueurs d’étonnement amusé. Nous nous asseyons dans une hutte ouverte à tous les vents et remplie de jeunes.
    « La famille de mon père, comme la tienne, me dit-il, est originaire de la vallée de la Bruche, entre Stermen et Haguenau, en Alsace. Mais à ma naissance, en 1926, mes parents sont descendus dans le Doubs, près de Montbéliard.
    — Qu’as-tu fait pendant la guerre ?
    — Au moment le plus fort de la guerre, j’avais dix-sept, dix-huit ans.
    — Et ton père ?
    — Il était horticulteur. Je me souviens très bien. Il cachait des étrangers dans la grange : des Juifs, des maquisards… Un jour, j’ai même découvert un aviateur anglais !»
     
    Ainsi, le père de cet autre Halter originaire de la lointaine Alsace avait peut-être été l’un de ces Justes dont je cherche partout les traces !
    « Et les Allemands ? lui dis-je.
    — Ils venaient souvent à la maison, parce que dans le village quelqu’un ne cessait de nous dénoncer. Ils faisaient toujours leurs descentes la nuit. Mais, par chance, ils n’ont jamais trouvé qui que ce soit. Mon père avait aménagé des caches en dessous de la grange…
    — Pourquoi faisait-il cela ?
    — Mais… parce que ça lui paraissait normal !
    — Et tu n’as pas eu peur ?
    — Moi ? Si, une fois. C’était le 14 novembre 1944, au matin. Je m’en souviens comme si ça se passait aujourd’hui !… Les Allemands ont à nouveau investi le village et, une fois de plus, ils n’ont rien

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