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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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appartient à la seconde génération d’hommes. Ses parents, Adam et Ève, sont toujours en vie. En tuant son frère, Caïn ne peut savoir qu’il a commis l’irréparable. Les concepts de Bien et de Mal n’existent pas encore. La loi, la morale et le «  Tu ne tueras point  » de Moïse ne sont pas encore à l’ordre du jour.
    Dans ces conditions, Caïn ne devrait ni se réjouir de son acte ni en avoir honte. À la question de l’Éternel : « Qu’as-tu fait de ton frère ?», il aurait dû répondre en vérité : « Je l’ai frappé et il ne bouge plus. »
    Or Caïn esquive la question : « Suis-je le gardien de mon frère ?» répond-il – comme s’il voulait dissimuler son acte, comme s’il savait que cet acte était répréhensible.
    Mais qui le lui a dit ? D’où tenait-il que tuer relevait du Mal ?
    De l’expérience de l’arbre défendu, de l’arbre de la Connaissance, dont ses parents ont mangé le fruit dans le jardin d’Eden.
    Ainsi, de génération en génération, l’homme héritera-t-il de la conscience du Bien et du Mal avant même que ces notions ne lui soient inculquées et expliquées par l’enseignement et les lois.
    De cette conscience d’ avant la Loi , les Justes ne seraient-ils pas l’incarnation ?
    Seule la poursuite de mon enquête pouvait m’apporter une réponse.
     
    C’est ainsi que la seconde étape de mon voyage à travers le Bien devait se situer dans le plus inattendu, le plus révélateur aussi : en Allemagne.

12.
    Le chancelier Helmut Schmidt m’a dit un jour : « Si les Polonais étaient antisémites, les nazis, eux, étaient allemands. » Cette phrase, venant d’un Allemand, m’avait profondément surpris.
    J’ai vu des Allemands pour la première fois à Varsovie. J’avais trois ans. C’était en 1939. Lorsque le fracas des bombes et le grondement des maisons qui s’effondrent eurent enfin cessé, les Juifs purent entendre l’annonce de leur destin : Judenrein (un pays « purifié » des Juifs). Depuis, que l’on tue un Juif à Anvers ou à Rome, à Vienne ou à Paris, ce sont ces mots de mon enfance que j’entends.
    J’ai rencontré les Allemands pour la deuxième fois dans les années soixante. En Allemagne, cette fois. Une Polonaise qui avait fui son pays et s’était installée à Cologne m’avait invité à exposer dans sa galerie. C’était carnaval. L’Allemagne était alors triste, ivre de bière et de honte. Les hommes de quarante à cinquante ans vous imposaient les fantaisies d’une mémoire qui, chaque fois, avait balayé cinq années de leur vie, à moins qu’elle ne les eût obligeamment déplacés sur le front de l’Est. Leurs enfants, eux, pleuraient au récit de Varsovie, du Ghetto, de la fuite en Union soviétique. L’Allemagne du boom économique ployait sous le poids de sa conscience malheureuse.
    Me voici à présent de retour dans ce pays, à la recherche de Justes. De Strasbourg à Heidelberg, à peine note-t-on l’existence d’une frontière : même amabilité des gens, des paysages, des villes.
    « Normal, me dit, badin, le baron Putliz, président de la fameuse université. Nous sommes les Sudistes de l’Allemagne, les Latins de l’Europe du Nord. »
    On s’exprime couramment en français ou en anglais dans les milieux intellectuels, mais mes amis insistent pour que, en public, je m’adresse aux Allemands en yiddish. «  Mais si, nous comprenons  », disent-ils. Et de fait, à condition d’éviter les hébraïsmes et d’en aligner la syntaxe sur le modèle allemand, le yiddish peut s’apparenter à l’un des multiples dialectes qui parcourent ce pays ultra-décentralisé. À l’université, aux journalistes de radio et de télévision, j’annonce donc que cette langue grâce à laquelle nous communiquons s’appelle le yiddish , qu’elle est née ici même, sur le sol germanique, il y a plus de mille ans ; que Kant et Goethe y puisèrent la manne de leurs recherches linguistiques ou littéraires et que, née du besoin de résister à un monde hostile et de s’en préserver, cette langue, issue de l’allemand, s’est enrichie au cours des siècles, développée et répandue à travers le monde au point de créer une culture effervescente dans laquelle, jusqu’en 1939, vivaient dix millions d’êtres. Anéantie avec ceux qui la pratiquaient, cette langue n’existe plus aujourd’hui que pour quelques milliers de personnes âgées, quelques hommes et femmes plus jeunes,

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