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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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Elle fait partie de ces rescapés, de ces épargnés qui ont pu, sans jamais se faire prendre par les nazis, passer à Berlin même les douze terrifiantes années que dura leur règne. Elle est émue lorsqu’elle évoque Kaethe Schwartz ou Klara Munzer, deux de ses bienfaitrices de l’époque.
    Je veux en savoir davantage :
    « Survivre, dites-vous… Mais comment un Juif pouvait-il seulement vivre dans la capitale du Reich ? Caché tout le temps dans une cave ?
    — Non. Nous vivions, comme je le disais, dans une certaine clandestinité. Nous ne portions pas l’étoile jaune, sortions en ville et présentions un comportement normal : nous étions, selon le terme de l’époque, des “ sous-marins ”. La plupart du temps, nous n’avions même pas de faux papiers ; dans une grande ville, on se noie plus facilement dans la foule. Certains jours, il nous arrivait d’ignorer où nous pourrions dormir le soir venu. Mais il y avait toujours quelqu’un pour aider. En tout, vingt familles berlinoises nous ont aidées, ma mère et moi. Il fallait changer souvent de lieu. Je ne sais pas si les Berlinois sont particulièrement curieux, mais les voisins des gens chez qui nous allions finissaient toujours par poser des questions, des tas de questions : “ Vous avez du monde chez vous ?… C’est votre famille, des amis ?… ”, etc. Il valait mieux ne pas offrir de prise aux soupçons, et partir s’installer pour un temps chez d’autres amis. Nous n’avions pas d’adresse, mais nous en avons eu vingt…
    — Et parmi ces familles, il y eut Kaethe Schwartz…
    — Oui, poursuit Inge Deutschkron. À l’époque, j’étais vendeuse dans la librairie-papeterie d’un de nos amis. Je disais “ Heil Hitler ” comme tout le monde, et personne n’aurait imaginé qu’une Juive clandestine fasse au grand jour ce que je faisais… Reste que, pour survivre, nous avions aussi besoin de cartes de ravitaillement, de nourriture… »
    Il fallait donc, là encore, des réseaux d’amitié, des complicités actives, sûres. C’est ici, entre autres solides relais, qu’intervenait Kaethe Schwartz.
    « La librairie où travaillait Inge était en quelque sorte devenue son refuge. Lors d’une de mes visites, elle a fermé la boutique à clef et m’a priée de rester. Puis elle s’est confiée à moi. Avant de me demander de l’aide, elle m’a avoué qu’elle devait changer d’abri et qu’elle savait que je cachais déjà une jeune fille juive à la maison. Je n’ai pas hésité un instant. Je lui ai procuré de la nourriture et de menus objets dont elle avait besoin. Elle est souvent venue chez moi.
    — Kaethe Schwartz, ajoute Inge, nous a fourni des cartes de ravitaillement et m’a présentée à cette Juive qu’elle cachait. C’est ainsi que Kaethe est entrée dans notre vie. »
    À écouter ces deux femmes, celle qui a sauvé comme celle qui fut sauvée, on se sent le coeur réchauffé, animé d’un souffle de confiance qui contraste vivement avec le climat délétère de l’Allemagne d’alors – qui contraste également avec certaines ambiances contemporaines non moins inquiétantes. Je me souviens de ce bar enfumé de Berlin où j’étais allé la veille de ma visite à mes deux interlocutrices. Franchi le tourniquet de la porte-tambour, il n’y avait que des crânes rasés, ou presque : je venais de pénétrer dans un antre de skinheads.
    Je leur ai demandé ce qu’ils pensaient de la liquidation de millions de Juifs par les nazis. Affligeante et impossible discussion :
    « La liquidation des Juifs par les nazis ? C’est de la propagande, des conneries !
    — Propagande de qui ?
    — Des Juifs eux-mêmes, bien sûr !
    — Vous ne croyez donc pas que des millions de Juifs aient été massacrés par les nazis ?»
    En guise de réponse, des rires.
    « Que pensez-vous de ces Allemands qui ont aidé des Juifs pendant la guerre ?
    — Aidé… des Juifs ?
    — Oui. Qui ont caché et sauvé des Juifs, ici, à Berlin et dans d’autres villes d’Allemagne.
    — C’était leur affaire…
    — Et que pensez-vous de ceux qui tuent des Turcs et d’autres étrangers dans ce pays aujourd’hui ?
    — Mais… ça n’a rien à voir !»
    Gras éclats de rire.
    Je reviens à Kaethe Schwartz.
    « Les Allemands m’ont déçue. Profondément déçue. J’avais des cartes de ravitaillement pour une personne, et je devais en nourrir cinq. Et aucun de mes voisins ne voulait m’aider,

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