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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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et, étrangement mais à leur insu, pour les Allemands eux-mêmes.
    La ville de Berlin, ancienne capitale du Reich, alors qu’elle était coupée en deux et peut-être pour cette raison même, a entretenu sans le vouloir une atmosphère d’expiation. On s’y déplaçait d’un pas feutré, on y parlait à voix basse.
    Aujourd’hui, avec la disparition du Mur, tout semble à nouveau possible. Les derniers gauchistes du siècle, majoritaires à Berlin, coexistent, avant de les affronter, avec les plus âgés venus des régions avoisinantes plutôt conservatrices. La mémoire y paraît indéfiniment vouée à la considération du Mal, à une impossible et nécessaire méditation sur l’horreur. L’annonce de la présence à Berlin même de quelques dizaines d’hommes et de femmes qui, à l’époque nazie, ont sauvé des Juifs suscite de la méfiance, voire de l’incrédulité. Pourtant, leurs noms et adresses figurent sur une liste que je garde sur moi, pliée au fond de ma poche.
    Longeant l’ancien Mur dont subsistent çà et là des panneaux témoins bariolés, aux allures de dazibaos pour taggers illuminés, je commence à douter, moi aussi. Ce mur me renvoie sans cesse à un autre mur. Celui-là fut élevé dans l’indifférence générale. On ne le franchissait guère que pour faire face à la mort. C’était le mur du Ghetto de Varsovie.
    En effet, pour le Juif de Varsovie que je suis, se lancer à la poursuite de « bons Allemands », ici, à Berlin, est une gageure, une entreprise pleine de pièges qui exige de prendre constamment sur soi. Dans un grand café de la ville, au milieu d’hommes et de femmes d’un certain âge, un journaliste allemand né après la guerre m’a mis au défi, non sans malice, de distinguer parmi les clients ceux qui avaient participé peu ou prou au massacre des Juifs. Je les ai scrutés soigneusement, et j’ai dû avouer ma perplexité : en fait de suspects, tous et aucun ! Comme il est difficile de lire le Bien et le Mal sur des visages !
    Or il existe peu de pays où l’intégration culturelle des Juifs fut aussi parfaite, aussi accomplie, qu’en Allemagne. La communauté juive, avant Hitler, y était forte de cinq cent mille personnes, dont un tiers vivaient à Berlin. Sa présence dans les lettres et les sciences était patente. La langue allemande était la langue dans laquelle écrivaient et pensaient Freud, Einstein, Kafka, Schnitzler, Kraus, Werfel, Schönberg, Mahler… En Allemagne, il reste aujourd’hui moins de trente mille Juifs, pour la plupart venus récemment de Russie.
     
    La mise à l’écart des Juifs allemands par le pouvoir nazi, leur bannissement culturel, puis physique, les surprend, les bouleverse. L’abandon de l’humain au pays de l’humanisme, sa violente négation : le choc est si brutal, la déception si intense, qu’une impressionnante série de suicides en découle très vite. La litanie de ces noms dit le désespoir d’une culture.
    Kurt Tucholsky, critique, dramaturge, suicidé.
    Ernst Toller, poète, suicidé.
    Ludwig Fulda, dramaturge, suicidé.
    Suicidés aussi le philosophe Walter Benjamin, le romancier Ernst Weiss, le dramaturge Walter Haserchever, le compositeur Gustave Brecher, le romancier Stefan Zweig…
     
    Je repense à ce square de Berlin, plutôt quelconque, sur un mur duquel une plaque commémorative indique ce qui, jadis, conduisait les gens en ce lieu.
    Ici était le plus ancien cimetière juif de Berlin (1672-1943), détruit en 1943 sur ordre de la Gestapo .
    Comme en Pologne, il ne suffisait pas aux nazis d’exterminer les Juifs ; il leur fallait pire : tenter d’anéantir jusqu’aux traces de leur passage sur terre. Tuer un cimetière. Assassiner la mémoire.
    En dépit des informations que j’ai déjà recueillies, j’ai du mal à imaginer qu’ici, au centre même du pouvoir hitlérien, des Juifs ont néanmoins pu se cacher, trouver aide et refuge et, pour certains, survivre. Comment le Bien, donc, pouvait-il se manifester au milieu d’une population soumise à une propagande intense, à des contrôles incessants, et invitée sans retenue à la délation la plus effrénée ?

13.
    Quelque part sur l’autoroute reliant Stuttgart à Munich, un panneau de signalisation indique Nuremberg à gauche, et Dachau à droite. Mon compagnon de voyage, un jeune Allemand, poursuit la conversation. Je ne l’écoute plus. Je suis saisi. En arrivant à Stuttgart, où je dois rendre visite à ma

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