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La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

Titel: La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christophe Verneuil
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son corps était en effet très mince, ses attaches délicates, son cou gracile. Ses cheveux bruns retombaient sans gr‚ce sur ses épaules, probablement parce qu'elle les lavait au savon. Elle ne mettait jamais de maquillage, pas même de rouge à lèvres. Elle se rongeait les ongles et ne prenait pas soin de ses mains. Mais c'était une jeune femme vive et généreuse, de sorte qu'Ernie et Faye regrettaient qu'elle ne profit‚t pas un peu plus de la vie.
    Elle inquiétait parfois un peu Ernie, de la même manière qu'il s'était inquiété pour Lucy, sa propre fille, avant qu'elle ne rencontr‚t Frank et l'épous‚t, et ne devînt si manifestement heureuse. Il sentait qu'il était arrivé quelque chose de grave à Sandy Sarver, il y avait longtemps de cela; qu'elle avait pris un coup terrible et que si ce coup ne l'avait pas brisée il lui avait appris à garder un profil bas, à se tenir tête baissée, à ne nourrir que de modestes espérances afin de s'éviter les déceptions, la souffrance et la cruauté des hommes.
    Ernie ouvrit le carton et commença à manger. Ńed fait vraiment les meilleurs cheeseburgers que je connaisse, dit-il.
    -Un mari qui fait bien la cuisine, c'est une vraie bénédiction du ciel, répondit timidement Sandy. Surtout avec moi qui ne sais rien faire.
    - Ne soyez pas si modeste, Sandy.
    - Mais si, c'est vrai, je vous assure. Je n'ai jamais rien su faire de bien. ª
    Il regarda ses bras nus que hérissait la chair de poule, sortant des manches courtes de son uniforme.
    ´ Vous ne devriez pas sortir le soir comme ça, sans un chandail, Sandy. Vous allez attraper la mort.
    -Oh non, pas moi, se récria-t-elle. Je... j'ai pris l'habitude du froid, il y a bien longtemps. ª
    Ernie aurait voulu trouver les mots pour la retenir un peu plus, mais elle posa la main sur la poignée de la porte.

    Á plus tard, Ernie.
    - Euh... il y a du monde, ce soir ?
    - Un peu. Les gars vont bientôt arriver pour dîner. ª
    Un peu de cheeseburger resta coincé dans sa gorge quand elle ouvrit toute grande la porte. Elle l'exposait sans le vouloir aux dangers des ténèbres. L'air froid s'engouffra dans le hall.
    ´ Vous allez bronzer avec toutes ces lampes, fit-elle en riant. Allez, bonsoir. ª
    Elle referma la porte derrière elle et il poussa un profond soupir. Il la vit passer devant les fenêtres et disparaître dans la nuit. Il ne se souvenait pas d'avoir jamais entendu Sandy se faire des compliments. Pauvre gosse... Elle était gentille, un peu sinistre cependant. Bien que ce soir, même la personne la plus sinistre e˚t été la bienvenue.
    Appuyé au comptoir, Ernie consacra toute son attention à ce qu'il mangeait, mastiquant lentement et ne levant jamais les yeux. Il repoussa ainsi pendant quelque temps la peur irrationnelle qui faisait se contracter les muscles de son cou et déclenchait des sueurs froides le long de son dos.
    Vers sept heures moins dix, huit des vingt chambres du motel étaient déjà prises. C'était la deuxième nuit d'un long week-end et les voyageurs étaient plus nombreux que d'habitude. En restant ouvert jusqu'à neuf heures du soir, il pourrait certainement louer huit autres chambres.
    C'était trop lui demander. Ernie était un Marine-en retraite, certes, mais toujours un Marine-, un homme pour qui les mots ´ devoir ª et ćourage ª
    étaient sacrés. Il n'avait jamais failli au Viêt-nam alors que les bombes pleuvaient et que les hommes s'effondraient tout autour de lui, mais il était incapable de tenir le motel ouvert jusqu'à neuf heures du soir. Il n'y avait pas de tentures devant les grandes baies vitrées, rien qui p˚t le protéger de la vision de la nuit.
    Chaque fois que la porte s'ouvrait, il mourait de peur de savoir qu'il n'y avait plus aucune barrière entre la nuit et lui.

    Ses mains tremblaient. Son estomac se tordait. Il était si nerveux qu'il ne pouvait rester en place. Il déambula derrière le comptoir, déplaçant de menus objets.
    Finalement, à sept heures et quart, cédant à son angoisse irrationnelle, il abaissa une manette afin de couper l'enseigne marquée CHAMBRES A LOUER et ferma à clef la porte d'entrée. Il éteignit une à une les lampes, évitant l'ombre qui s'installait là o˘ la lumière avait régné, et battit en retraite vers le fond de la pièce. Un petit escalier conduisait à son appartement. Il s'efforça de monter les marches lentement, se disant que c'était ridicule d'avoir peur et qu'il n'y avait rien, rien, de tapi

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