La fuite du temps
chez
Florence et sa mère.
— Mais j'ai pas
de robe mettable pour aller là! s'était emportée sa mère. Pourquoi tu nous as
pas parlé de ça avant aujourd'hui? — Parce que j'ai demandé Florence en mariage
juste hier soir, avait répondu un Gilles manifestement très heureux.
Le souper de
fiançailles avait été assez emprunté, mais somme toute, il s'était bien
déroulé. Laurette avait tenté d'être aimable avec sa future bru et cette
dernière avait eu l'intelligence de lui faire bonne figure. Cependant, les
relations entre les deux femmes s'étaient limitées à ce souper qui datait déjà
d'un mois et demi. Depuis, Gilles s'était borné à révéler que le couple allait
se chercher un appartement au nord de la rue Sherbrooke, à mi-chemin, si
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possible, des
deux écoles. Le mariage n'était prévu que pour la mi-juillet.
Pour sa part,
Carole s'empressa de revêtir un pyjama épais sur lequel elle passa un chandail
pour avoir encore plus chaud avant de se glisser sous ses couvertures. Elle
était satisfaite de sa soirée. Elle avait eu tout le temps désiré pour parler à
sa cousine de son envie d'aller habiter seule dans un appartement qu'elle
décorerait à son goût et où elle pourrait recevoir son ami ailleurs que dans la
cuisine, comme chez ses parents.
Louise était la
confidente idéale. Elle ne la critiquait jamais. Elle la comprenait de vouloir
recevoir son ami de coeur ailleurs que dans un appartement miteux. D'ailleurs,
sa soeur Suzanne et elle travaillaient depuis plusieurs mois à convaincre leurs
parents d'abandonner leur vieil appartement de la rue d'Iberville pour en
trouver un plus beau un peu plus au nord pour ne plus avoir honte d'y recevoir
leurs amis.
Louise Brûlé
savait à quel point sa cousine était folle de son André. Même si le garçon ne
lui plaisait pas particulièrement, la fille d'Armand Brûlé se gardait bien de
formuler la moindre critique à son encontre.
Après avoir
éteint sa lampe de chevet, Carole se mit à rêver à son amoureux. Elle aimait
ses épais cheveux blonds et ses favoris, ses airs frondeurs et sa facilité à
s'exprimer.
Elle était
persuadée qu'il était un excellent tailleur que les patrons essayaient toujours
d'exploiter. Mais ils n'y parviendraient pas parce que son André n'était pas un
mouton.
Elle ne comprenait
pas que sa mère ait une dent contre un si gentil garçon qui ne lui avait jamais
rien fait. Pourquoi était-elle si dure avec lui?
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— Ton chum est
menteur comme un arracheur de dents, lui répétait Laurette. On dirait que t'es
trop bête pour te rendre compte qu'il se cherche pas pantoute de l'ouvrage.
C'est un
sans-coeur!
Au souvenir de ce
genre de remarque, son sang bouillait.
André n'était pas
comme ça. Il déplaisait à sa mère parce qu'il cherchait toujours à lui arracher
des permissions de sorties spéciales le samedi ou le dimanche.
Sa mère avait
beau crier sur les toits qu'il n'était pas question que sa fille aille traîner
n'importe où avec lui, elle devait tout de même considérer le fait qu'elle
était majeure et que, de plus, les Morin n'avaient pas de salon à mettre à la
disposition des amoureux.
Le samedi
précédent, ce genre de demande avait encore mis le feu aux poudres.
— André aimerait
qu'on aille passer la journée de dimanche chez ses amis qui restent à
Sainte-Rose, avait-
elle mentionné à
sa mère.
— Il en est pas
question! avait tranché cette dernière sur un ton sans appel.
— Voyons donc,
m'man! avait-elle protesté. On n'est plus en 1940. Ça existe plus des filles
qui sont poignées pour veiller au salon avec leur chum, comme des dindes.
— Ben, c'est ben
de valeur, ma fille, mais c'est comme ça que ça se passe ici dedans, avait
objecté sa mère, en montant sur ses grands chevaux. En plus, parle pas de
salon, on n'en a pas. Si ton chum veut te fréquenter, ça va se faire dans la
cuisine, devant nous autres. Ta soeur Denise a pas traîné partout avant de se
marier, et toi non plus, tu feras pas ça. C'est une question de principe.
— C'est le l’fun
encore! s'était écriée la jeune fille avant de claquer la porte de sa chambre
avec rage.
Toutefois, elle
connaissait assez sa mère pour savoir qu'elle ne gagnerait rien à l'affronter.
Laurette Morin était
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un roc.
Lorsqu'elle évoquait un principe, il valait mieux ne pas contester. Non.
L'unique solution était
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