La gigue du pendu
vrais amis, tous les deux. Mais je crains, a-t-il déclaré avec une intensité dramatique que Lovegrove n’aurait pu lui enseigner, je crains fort de ne jamais le revoir, pas plus que le garçon ni La Fiancée du vautour . »
Bien sûr, il se trompait du tout au tout.
3
Au Pavilion Theatre
Mes chiens et moi sommes confortablement installés sur le côté de la scène du Pavilion Theatre. Mr Carrier nous a mandés pour participer à la prochaine pièce de Noël écrite par le talentueux auteur dramatique F. H. Trimmer, Elenore la femme pirate ou l’Or du roi de la montagne . Nous sommes heureux comme un chien à deux queues – surtout Brutus et Néron ! – et pas seulement parce que ça met du beurre dans les épinards. Non, c’est la nouveauté de la scène, car depuis un an, nous n’avons pas eu droit à grand-chose de neuf – au Bower Saloon, nous avons été coiffés sur le poteau par notre ami Mr Matthews avec Devilshoof qui, selon Trim, fait un malheur, et ne va pas tarder à se retrouver dans les pages de l’ Era , attirant l’attention des directeurs de salles de spectacle. L’un dans l’autre, c’est une bonne chose. Donc, nous attendons gentiment l’arrivée du patron et de notre ami Will Lovegrove, car, j’en suis convaincu, il me faudra le remercier pour cette opportunité.
Mr Carrier prend un risque certain en montant la pièce de Trim pour la Noël et en s’affranchissant totalement des arlequinades ; Will dit qu’il est le seul directeur de théâtre à Londres à s’y aventurer. « Traditionnelle » et « éternelle » sont les termes habituels qui décrivent la pantomime, et que la foudre s’abatte sur celui qui envisagerait autre chose. Nous sommes habitués à Arlequin, roi de Rumbledetum, et la belle Princesse qui-n’en-fait-qu’à-sa-tête ; ou aux Éclatants Secrets du lac noir avec par-dessus le marché un obscur scénario. On s’attend à une histoire embrouillée, des chansons, des bons mots, de magnifiques costumes, un spectacle brillant, avec des bannières et des drapeaux de toutes les nations, un ballet féerique, des jeux de lumière à vous couper le souffle, et une incroyable scène de transformisme.
Les pantomimes se ressemblent toutes, d’année en année. Quoi qu’il arrive.
Jusqu’ici.
Oui, Mr Carrier prend des risques.
« Mr Hennessey à l’Oriental, a-t-il confié à la compagnie il y a huit jours seulement, se serait attaché les services de Van Ambrose, le grand dresseur et écuyer. On m’a raconté que le final de son acte II consistera en un magnifique défilé de chameaux, chevaux et éléphants. Ensuite, au Duke’s Theatre, j’ai compris que Mr Goldhawk fait construire une pagode chinoise, avec des colombes pour la scène de transformisme.
— Mais, a déclaré Mr Pocock, son fidèle secrétaire, Mr Willard joue la sécurité en présentant Ali Baba, bien que ses quarante voleurs soient tous des femmes, jusqu’à la dernière, et plutôt bien en chair. »
Les dames présentes ont gloussé, et l’éternel figurant de service a lâché un commentaire peu relevé.
« Vous ne devriez pas en rire, mesdames et messieurs, a poursuivi Mr Pocock d’un ton lugubre, d’autant plus qu’il a engagé Mr Lawrence, le pyrotechnicien et créateur de feux d’artifice. Nous savons, d’expérience, que les explosions puissantes et les nuages de fumée sont à la pointe de la mode. »
Une arme à double tranchant, d’après Will, puisque ce vieux Lawrence a failli faire partir en fumée le Pavilion, une année, lorsqu’une fusée bleue a explosé par accident et mis le feu à la scène.
« Bien entendu, a repris Mr Carrier, grâce à Mr Lombard, nous ne manquons pas de merveilles au Pavilion – le vaisseau toutes voiles dehors à l’acte III fera un tabac, j’en suis sûr. »
Si l’on en jugeait d’après la masse de bois et de peinture, la saine quantité de papier et de colle, et le manque de patience de Mr Lombard, alors ce serait sans aucun doute un miracle à regarder. Il y aurait des voiles et des gréements, a expliqué le patron, en souriant comme un Chinois, et tout serait en état de marche, si bien qu’un « chœur plein de talent » (il n’a cité aucun nom) pourrait grimper aux échelles et aux cordes pour se lancer dans un « ballet aérien » à trois mètres du sol.
Mr Lombard, le décorateur du Pavilion, était aussi affairé qu’une poule avec ses poussins, il s’inquiétait non
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