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La gigue du pendu

La gigue du pendu

Titel: La gigue du pendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ann Featherstone
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serais du genre à m’en séparer ? Que non ! Si vous le voyiez au boulot, quand il tire le verrou d’un portail, fait sonner des cloches, apporte une lanterne sur scène, là vous comprendriez. Non seulement il est beau, mais en plus il est malin. Jamais je n’ai connu un chien qui apprenne aussi vite de nouveaux tours. Il suffit d’un petit encouragement, un morceau de foie pas plus gros que l’ongle de votre pouce, et au bout d’une semaine, il a tout compris. Et il est si fier de son intelligence qu’il fera en sorte de ne rien oublier ! Néron est lui aussi un compagnon agréable, fiable et sûr, qui prend soin de Brutus comme si c’était son frère.
    En vérité, j’ai beaucoup de chance d’avoir à mes côtés des créatures aussi nobles et affectueuses, et je me le répète tous les matins quand nous quittons notre logement pour aller prendre le petit déjeuner chez Garraway . Car vous devez savoir que je ne suis pas de tempérament aventureux. J’apprécie de mener une vie tranquille, bien ordonnée et j’ai du mal à supporter l’agitation. Je n’aime guère le changement, je préfère toujours croiser les mêmes figures autour de moi, arpenter les mêmes rues, regarder les mêmes vitrines pour y voir à vendre les mêmes biens. Aux yeux de certains, je pourrais passer pour quelqu’un d’ennuyeux, mais j’ai mes raisons pour goûter une existence simple et régulière, et j’ai beau travailler dans le monde du spectacle (ce qui peut sembler aller à l’encontre de cette inclination, puisque je suis en permanence devant le public), il est néanmoins dans ma nature d’être calme et rangé. Cela dit, la tranquillité ne nourrit pas son homme. Tout comme une truffe humide et un poil brillant ne vous procureront pas un lit. Et même si ça fait cinq ans que Brutus, Néron et moi, nous sommes ensemble, nous n’avons pas toujours connu le confort dont nous jouissons à présent, nous avons même vécu des moments difficiles qui m’ont causé bien du tourment. En vérité, aujourd’hui encore, quand approche le jour de payer le terme, je ne peux m’empêcher de consulter mon carnet de notes et de recalculer dans tous les sens combien il me reste. Pas plus tard que l’autre jour, Mr Abrahams a fait des commentaires sur mon sérieux, en affichant une expression admirative. Je lui suis très obligé, mais cela m’a causé un certain effroi car c’est à la fois mon patron et un monsieur très averti, propriétaire de l’East London Aquarium and Museum, avec de longues années d’expérience en matière de spectacle. Aussi, quand il m’a à nouveau regardé en me lançant « Allons donc, Bob ! », j’ai aussitôt senti monter en moi une vague d’anxiété.
    « Je sais ce que tu t’apprêtes à me demander comme si je lisais dans tes pensées, mon garçon. Et si je pouvais, je te donnerais la réponse que tu attends. » Puis il a secoué la tête d’un air dépité. « Mais tu connais le monde du spectacle comme moi. Beau temps une semaine, mauvais la suivante. Si le baromètre est au plus bas le samedi, je suis obligé de te congédier, sans quoi je ne serais qu’un âne, indigne de la haute opinion de mes clients. »
    Je suis heureux de pouvoir dire que, jusqu’ici, l’aiguille reste sur « Beau temps », toutefois, l’humeur du public est si variable que je comprends cette prudence. Car ce qui l’attire, le divertit pendant une semaine, fait se précipiter à l’Aquarium tout le monde à quinze kilomètres à la ronde, fera peut-être ricaner la semaine suivante et sera considéré comme un piètre numéro. J’ai vu la chose se produire un nombre de fois incalculable. Ne serait-ce que l’année dernière, avec Madame Léonie, la femme au visage de lionne : pendant six semaines, tout a marché comme sur des roulettes, elle était tellement confiante qu’elle a cherché un meilleur logement, fait appel à une couturière et, soudain, un matin, je l’ai vue plier bagage en essuyant une larme sur sa joue velue. Sans transition, la salle avait été désertée, le public s’était retourné contre elle, et dehors d’horribles rumeurs circulaient qu’on allait démolir son stand, déchirer ses tableaux. Je suis heureux de pouvoir annoncer qu’aux dernières nouvelles elle travaillait pour un musée de cire à Cardiff où tout se passait fort bien, n’empêche qu’à l’époque cette histoire nous a tous choqués, et même Mr Abrahams, malgré toute sa

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