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La gigue du pendu

La gigue du pendu

Titel: La gigue du pendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ann Featherstone
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sagesse, n’a pas trouvé d’explication. « Ah, tu vois, Bob, comme notre position est instable ! Nous voilà bien au chaud un jour, et le lendemain, pffft ! Nous sommes à la merci des gens », a-t-il dit, triste comme un croque-mort.
    Je n’aime pas songer à ces sombres perspectives, car nous sommes tous très amis à l’Aquarium, que j’appelle désormais mon « lieu de travail ». Ce n’est pas parce que le cadre est agréable, que j’y travaille de manière régulière, et y gagne assez pour mettre quelques sous de côté. Non, je l’apprécie comme tous les endroits où je suis passé, sans oublier les gens. Pour sûr que l’Aquarium, c’est quelque chose. Une sorte de huitième merveille du monde. Et pas un poisson en vue ! Tout le monde fait la remarque, d’après Mr Abrahams, « des aigrefins jusqu’aux aristos ». D’après ce que j’ai compris, autrefois le bâtiment était un grand entrepôt. Ce qui expliquerait les quatre étages, le grenier et la cave, tous reliés par des escaliers (dont certains majestueux) et les paliers décorés de vitraux (comme dans une église), les statues, le fer forgé, etc. À chaque étage se trouvent de vastes salles partagées en pièces plus modestes (même si les cloisons sont en lattes de bois léger), elles-mêmes parfois divisées, si bien que pour un étranger, c’est un vrai labyrinthe de recoins et de petits espaces. Mais pas pour ceux qui y travaillent, et quel étrange groupe d’artistes et de monstres nous formons (encore une formule de Mr Abrahams pour attirer le chaland) ! Chaque semaine, il y a du changement. Un jour nous accueillons des contorsionnistes et des acrobates, un autre des magiciens et des personnes contrefaites. Il y a des employés réguliers comme Conn, qui s’occupe de la ménagerie au dernier étage, et Pikemartin qui vend les tickets, assis dans sa cabine, époussette les figures de cire, ouvre et ferme les volets. Mais ils font exception. La plupart des autres vont et viennent, ce qui est triste, car dans la même semaine on peut gagner et perdre un ami. J’espère que des jours meilleurs adviendront, bien entendu – des « perspectives », comme disait Madame Léonie –, mais je suis content, pour l’instant, d’arriver chaque matin pour faire mon numéro dans le premier salon du deuxième étage (Mr Abrahams a une drôle de manière de distribuer l’espace) et de toucher ma paye à la fin de la semaine. La vie n’est pas dure – j’ai connu bien pire – et je me la rends agréable grâce à de petites habitudes que je me suis inventées, chose qu’un homme a tendance à faire quand on lui laisse quartier libre et qu’il n’a pas une femme pour lui organiser ses journées.
    Le matin, j’aime bien aller prendre mon petit déjeuner chez Garraway , au coin du célèbre Pavilion Theatre, à peine à dix minutes à pied de l’Aquarium. L’endroit n’a rien de remarquable, même pas sa cuisine, il y a parfois du marc dans le café et des espèces de grumeaux dans le pain, mais les assiettes sont grandes et bien garnies, et même si la serveuse est négligée, que son collègue éternue comme une vieille bouilloire, eh bien, malgré tout, ils sont assez accueillants. Ainsi, chaque matin, à neuf heures moins le quart, vous pouvez me trouver à ma table, dans la première salle de chez Garraway , mes chiens à mes pieds, à déguster mon café et mes tartines, voire, les bons jours, une côtelette ou une tranche de bacon. Le feu est chaud, la vue (sur la rue animée) divertissante, les journaux abondent, et c’est assez tranquille pour qu’un homme puisse se préparer aux tâches de la journée. C’est là que j’ai rencontré Fortinbras Horatio Trimmer, auteur de pièces de théâtre pour le Pavilion, et des aventures d’un personnage haut en couleur pour le journal Barnard’s Cornucopia , un hebdomadaire de littérature publié chaque samedi et vendu au prix de deux pence. MM. Picton et Barnard, de Silver Street, sont ses clients les plus exigeants, et la première fois où j’ai vu Trim (c’est ainsi que l’appellent ses amis), il était en plein travail, écrivant sur une table dans un coin de la salle, sourcils froncés, une tasse près de son coude et une tranche de pain (sans beurre) sur une assiette devant lui. C’est Brutus, cet amical compagnon, qui a comme on dit rompu la glace, car sans y être invité, il s’est approché et a posé la tête sur la jambe de Trim.

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