La grande déesse
gaélique, dont Shakespeare a fait la reine Mab), ce qui veut dire « ivresse », mais aussi « médiumnité ».
Cette reine Maeve occupe une place importante dans les récits épiques de l’Irlande ancienne. Épouse du roi Aillil de Connaught, elle est détentrice de la souveraineté réelle, le roi n’étant que le pivot de la société qu’elle représente. Et l’on nous dit qu’elle « prodiguait l’amitié de ses cuisses à tout guerrier dont elle avait besoin pour assurer le succès d’une expédition ». Reine guerrière, dévoreuse et castratrice, rusée et cruelle, elle est présentée comme le modèle de la souveraineté, mais cette souveraineté est ambiguë puisqu’elle se place autant sur le plan sexuel que sur le plan politique. Il est alors permis de se demander si l’image de la Sheela-na-Gig ne lui convient pas parfaitement, surtout celle qu’on peut voir dans les ruines de l’abbaye de Killinaboy, près de Corofin, dans le comté de Clare, donc en Connaught. La Sheela ne promet-elle pas en effet « l’amitié de ses cuisses » à ses fidèles ? Cependant, le nom de la reine Maeve est resté attaché à deux sites importants de la tradition gaélique. Le premier est celui de Cruachan, aujourd’hui Rathcroghan, dans le comté de Roscommon : c’est l’emplacement que les anciens récits attribuent à la résidence d’Aillil et de Maeve, et certains textes précisent même que sous la forteresse celtique de Cruachan, se trouve un sidh , un tertre mégalithique, lieu supposé de l’autre monde hanté par les dieux et les héros ; il y a donc là un rattachement évident de Maeve avec les divinités de l’Irlande druidique. Le second site est celui de Knocknarea, une petite montagne au-dessus de Sligo, dominant l’océan à l’ouest et le vaste ensemble mégalithique de Carrowmore à l’est, le plus grand enclos funéraire de l’Irlande préhistorique. Sur le sommet de Knocknarea se dresse un cairn de pierres sèches qui est appelé le « tombeau de Maeve ». Or, pour diverses raisons, aucun archéologue n’a voulu entreprendre des fouilles dans ce tertre mégalithique qui pourrait livrer pourtant d’importantes informations sur la civilisation des bâtisseurs de dolmens. Tout se passe comme s’il y avait un interdit magique sur ce tertre, et l’on est bien obligé de constater qu’il s’agit là d’un lieu sacré. D’ailleurs, la coutume populaire veut que chaque individu qui grimpe sur le sommet de Knocknarea apporte avec lui une petite pierre et la dépose sur le cairn. N’est-ce pas là le signe d’une étonnante et inconsciente permanence du culte de la Déesse des origines 80 ?
Si l’on en croit la longue tradition mythologique de l’Irlande, véhiculée par les récits écrits par les moines chrétiens du haut Moyen Âge, le nom de la Déesse des origines était Dana : les grands dieux irlandais dont ces récits rapportent les actions étaient les Tuatha Dé Danann qui venaient des « îles du nord du monde », localisation évidemment symbolique, c’est-à-dire les « peuples de la déesse Dana ». Le nom de Dana, souvent simplifié en Ana ou Anna (et en Dôn dans la tradition galloise), rappelle incontestablement la Tanit carthaginoise, la Tanaïtis et la Nana sémitique du Proche-Orient, l’Ana-Pourna indienne, l’Anna Parenna romaine, la grecque Danaé et ses filles, les Danaïdes, ainsi que l’un des noms des Grecs, les Danaéens, et bien entendu le nom des fleuves Don et Danube, sans parler de celui d’Anne, la mère de la Vierge Marie, sur laquelle les Évangiles canoniques sont muets, mais les traditions bretonnes particulièrement bavardes. Et, non loin de Killarney, dans le comté de Kerry, deux sommets jumeaux où se rendent parfois les Irlandais en bizarre pèlerinage sont appelés Paps of Ana , les « tétons d’Anna ». Il y a trop de coïncidences pour que cette accumulation de noms voisins concernant la Déesse des Commencements soit le résultat du hasard, même s’il n’est pas de règle de comparer les termes sémitiques aux termes indo-européens. Les divinités se rient des différences raciales, car elles sont universelles.
La spiritualité celtique préchrétienne se caractérise par un refus total et inconditionnel de tout concept faisant intervenir la dualité : pour les druides, il n’y avait ni bien ni mal, mais une totale liberté de choix pour les êtres humains entre deux directions, celle des forces
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