La grande déesse
souvent du côté du cimetière.
On a recensé quelque cent quinze exemplaires de Sheela-na-Gigs dans toute la Grande-Bretagne, mais la plus célèbre est certainement celle qui se trouve sur le mur sud de l’église Sainte-Marie et Saint-David, à Kilpeck (Herefordshire), à douze kilomètres au sud-ouest de Hereford en direction d’Abergavenny, sur la frontière du pays de Galles et de l’Angleterre. Mais d’autres sont tout aussi caractéristiques, notamment sur l’église de la Sainte-Trinité à Holdgate (Shropshire), sur l’église de Saint-Laurence à Church-Stretton (Shropshire) et sur l’église de Sainte-Catherine (il y en a même deux) à Tugford (Shropshire), toujours sur la frontière galloise, ainsi que sur celle de Saint-Michel à Oxford. Mais il est parfois difficile de les découvrir car, pudeur oblige en ces pays puritains, elles ne sont jamais indiquées sur le moindre panneau.
La Sheela-na-Gig est tout aussi commune en Irlande, mais comme dans l’île voisine, on la met très souvent au secret le plus absolu. Ce n’est que récemment que deux Sheelas ont fait une discrète apparition au Musée archéologique national de Dublin, dans la salle où sont exposés les plus beaux trésors de l’art irlandais. Mais il faut vraiment savoir de quoi il s’agit. Et, sur le site de Cashel, tant fréquenté par les touristes du monde entier à cause de sa magnifique situation, de l’exceptionnelle qualité de la chapelle de Cormac et des ruines grandioses de la cathédrale, qui irait s’imaginer que sur le mur est du bâtiment restauré de la manécanterie, servant de musée, se trouve une superbe figuration de cette Déesse écartant largement ses lèvres vaginales ? En Irlande, la pesanteur du catholicisme a occulté bon nombre de divinités païennes ou dites telles. Mais celles-ci ne se font pas faute de resurgir derrière l’image stéréotypée de la Vierge Marie.
Car la Vierge Marie est particulièrement honorée dans une République d’Irlande catholique à quatre-vingt-quinze pour cent, mais en dehors d’un sanctuaire récent dans le comté de Mayo, qui est davantage une opération commerciale qu’une œuvre spirituelle, il n’existe pratiquement pas en Irlande de lieux de pèlerinage en l’honneur de la Theotokos . Pourtant, à chaque détour d’une route, dans le moindre village, on découvre une « grotte de Lourdes », d’un goût artistique plus que douteux, mais qui témoigne de la foi des Irlandais en Notre-Dame. Le fait est que Lourdes a exercé sur eux un tel envoûtement qu’ils n’ont pas ressenti le besoin d’avoir sur leurs terres un sanctuaire marial. Par contre, ils ont pour ainsi dire annexé Lourdes, où ils se rendent nombreux en pèlerinage et où ils ont fait ériger une croix celtique de la plus authentique tradition. En fait, « Notre-Dame » se cache sous des aspects fort divers où la tradition héritée du passé druidique se mêle harmonieusement avec le catholicisme le plus rigoureux.
On peut prendre pour exemple significatif la ville d’Armagh, dans la partie de l’Ulster qui dépend du Royaume-Uni, le siège de l’archevêque primat d’Irlande (aussi bien anglican que catholique), donc assurément une ville sainte qui vénère le souvenir de son fondateur, saint Patrick. Le nom d’Armagh signifie la « puissante Macha », et cette ville ne fait que prolonger un établissement primitif des Ulates, leur forteresse principale, à quelques kilomètres de distance, le site dit actuellement d’Émania, et qui était autrefois Émain Macha. Or Macha est un des aspects de l’antique déesse mère des Gaëls. Le récit mythologique qui la concerne raconte que Macha était allée trouver un certain Crunniuc, un pauvre paysan veuf qui avait plusieurs enfants en bas âge. Elle lui avait proposé de l’épouser, lui promettant richesse et bonheur à condition qu’il ne parlât jamais d’elle à quiconque. On reconnaît là un interdit majeur de type mélusinien. Tout se passa bien jusqu’au jour où, au cours d’une assemblée des Ulates, le roi d’Ulster prétendit que nul n’était capable de battre ses chevaux à la course. Crunniuc, sans doute un peu trop gorgé d’hydromel, releva le défi en racontant que sa femme courait plus vite que les chevaux du roi. Évidemment, le roi l’obligea à aller chercher Macha et à prouver ses dires. Or Macha était enceinte et demanda un délai que le roi refusa. Elle courut donc, battit les
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