La grande déesse
s’enrichir de nouveaux ornements correspondant aux multiples fonctions qu’on lui prêtait. Ses noms sont extrêmement divers : à Babylone, on honorait une certaine Anat, probablement la même que l’Anahita iranienne, qui est une sorte de parèdre du dieu Anou, à la fois hittite, donc indo-européen, et assyro-babylonien, donc sémite. Mais on la retrouve également sous la figure de Nanaï ou de Nanâ avant qu’elle se fonde définitivement dans le personnage essentiel de la déesse Ishtar de Babylone, autrement dit l’Astarté des Phéniciens. La caractéristique de cette déesse est sa sexualité, mise en valeur d’une façon qui ne pouvait que choquer les puritains de toute espèce et les partisans d’un Dieu père unique géniteur. Le temple d’Ishtar à Babylone était un sanctuaire réservé à la prostitution sacrée : non seulement les hommes pouvaient s’y accoupler rituellement avec les prêtresses du temple, mais toute femme devait, au moins une fois dans sa vie, jouer le rôle de la prêtresse en allant s’offrir aux hommes dans l’enceinte sacrée. Il s’agissait alors d’un authentique hiérogame, une union directe entre l’humain et le divin, ce divin étant incarné par la prêtresse ou la femme en tenant lieu, l’une et l’autre étant la personnification d’Ishtar.
Car Ishtar n’est pas « vierge » au sens où l’on entend ce terme aujourd’hui. Sa virginité n’est pas physique, elle est placée sur un plan supérieur : au sens étymologique, le mot « vierge » évoque la force et la disponibilité. Et, dans les récits mythologiques qui la concernent, Ishtar représente, par son étrange liaison avec le dieu Dumuzi – dont on ne sait pas très bien s’il est son amant ou son fils, vraisemblablement les deux –, la vie dans toute son intensité. Descendue aux Enfers, elle y fut dépouillée, dit-on, de tous ses pouvoirs et traitée en simple mortelle, ce qui entraîna une rupture dans l’harmonie du monde et donc de grands désordres sur la terre. Pour y remédier, les dieux célestes durent envoyer vers elle son vizir Namtar qui réussit à la ramener à la surface après qu’il l’eut aspergée des eaux de la vie. Mais Dumuzi n’eut pas le même sort : il devait passer la moitié de l’année dans les Enfers. Ce mythe fondamental est le même que celui d’Astarté, de Cybèle et de Déméter.
La représentation d’Ishtar et de ses différentes hypostases est assurément érotique, et le fait pour une femme d’aller se prostituer dans le temple est un rituel de sacralisation par lequel, comme le dit Hérodote, « la femme est sanctifiée aux yeux de la Déesse ». Et, toujours d’après Hérodote, cette Ishtar est « déesse du désir, déesse de la vie, courtisane de l’amour et putain sacrée du temple ». C’est elle-même qui le dit d’ailleurs, par la voix de ses oracles : « Je suis une prostituée compatissante. » Mais, en tant que telle, elle est nécessairement ambiguë et susceptible de revêtir des aspects monstrueux ou terrifiants. De plus, le mythe littéraire d’Ishtar et de Dumuzi (également nommé Tammuz), en l’état dans lequel il nous est parvenu, est loin d’être clair : on peut comprendre qu’Ishtar ait elle-même tué son amant, quitte à le regretter ensuite. Si elle donne la vie, elle donne également la mort. Mais il s’agit d’une mort rituelle, puisque Dumuzi, grâce à elle, renaît une moitié de l’année. Ishtar est donc comparable à la Grande Déesse représentée symboliquement sur les gravures de certains cairns mégalithiques, cette divinité funéraire qui est censée procurer aux défunts une nouvelle existence dans un autre monde, et cela en engloutissant d’abord l’homme dans son ventre, puis en le maturant dans ses entrailles avant de l’accoucher dans un état supérieur. C’est le thème qui préside à toutes ces étranges Sheela-na-Gigs , très nombreuses en Irlande et dans une partie de la Grande-Bretagne, dont la vulve largement ouverte invite à s’y engouffrer.
Mais, dans les représentations assyro-babyloniennes, Ishtar, toute « érotique » qu’elle soit par ses prolongements, est définie comme une divinité multifonctionnelle. Certes, le premier rôle est dévolu à Mardouk, le dieu tutélaire de Babylone, ainsi qu’à Assour, le dieu assyrien proprement dit, mais cela ne fait pas oublier que dans la tradition primitive, tout entière marquée par les
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