La grande déesse
correspondances entre la voûte céleste et la terre (on sait que les Assyro-Babyloniens sont les créateurs de l’astrologie), il existe une triade essentielle, celle de Sin, la Lune, de Shamash, le Soleil, et d’Ishtar, la planète Vénus. Et ces entités divines ne sont, dans la théologie complexe des sémites du Proche-Orient, que les résultats du démembrement de la déesse Tiamat, qui correspond au chaos originel. De cette origine, les divinités dites classiques conserveront des emblèmes significatifs : à Sin, seront attribués le dragon et le disque lunaire, et le Yahveh hébreu, ancien dieu du mont Sinaï, conservera pendant longtemps le même symbolisme, réapparaissant au cours des âges, notamment à travers la nuée ardente qui n’est autre que le souffle enflammé du dragon. Quant à Shamash, son ambiguïté en fait une divinité universelle : il a comme emblèmes le lion et le disque solaire, ce qui en fait l’énergie personnifiée, la chaleur, la vie, mais sans implication sexuelle particulière. Si Sin est incontestablement un dieu mâle et Ishtar une déesse femelle, Shamash est indifférencié, comme s’il était androgyne.
C’est cependant Ishtar qui règne sur ce monde divin de Babylone et de Ninive. Elle est vraiment la déesse aux mille aspects, souvent représentée avec une robe conique, des bras ailés et un chapeau conique évoquant une ziggourat, sorte de tour à degrés de plus en plus restreints, qui semble avoir été le type de la fameuse tour de Babel. Et Ishtar possède des emblèmes qui témoignent de ses fonctions : elle est la Dame aux Serpents (qu’on retrouvera en mer Égée), parce qu’elle connaît tous les secrets du monde souterrain et préside donc à la germination des grains ; elle est aussi la Dame au Lion qui donne la puissance et la victoire ; elle est enfin la Dame à la Colombe qui suscite et protège l’amour, ainsi que la sexualité. Ces caractères d’Ishtar, on les retrouvera curieusement dans un domaine proprement indo-européen, en l’occurrence chez la déesse irlandaise Morrigane (la « grande reine »), maîtresse de l’amour, de la guerre et de la fécondité, qui deviendra la fée Morgane des romans dits de la Table ronde.
Sur les bords de la Méditerranée, Ishtar n’est plus connue que sous son nom déformé d’Astarté, et c’est cette Astarté qui, une fois hellénisée, deviendra Aphrodite, ou encore Vénus. Alors, son amant-fils sera Adonis, mais l’aventure sera identique. Un peu plus au nord, dans la Turquie actuelle, cette même entité divine sera la Phrygienne Cybèle, en fait la mère de tous les dieux ; comme son amant Attis s’est châtré pour elle, ses prêtres dévoués, les galles, se feront eux-mêmes eunuques et porteront des vêtements féminins pour s’assimiler davantage à la Déesse. Attis renaîtra chaque année, redeviendra viril par conséquent, et ensemencera de nouveau Cybèle, c’est-à-dire la Terre mère, en un inceste sacré qui montre l’importance du lien entre la mère et le fils – lien soumis à un interdit absolu pour le commun des mortels et que seuls les dieux ont le droit et le devoir de transgresser pour assurer l’équilibre de l’univers. Lorsqu’à la période hellénistique, Cybèle sera quelque peu confondue avec l’Artémis des Grecs – la Diane scythique –, on s’efforcera de gommer l’aspect trop sexuel de la Déesse en en faisant une chaste gardienne des animaux sauvages et en mettant en lumière son intransigeante virginité : alors, malheur à qui verra la Déesse entièrement nue ! Il sera condamné à mort ou à la castration. Cette évolution puritaine du mythe n’en détruit absolument pas la signification primitive.
Mais si la Déesse des Commencements a été particulièrement honorée dans tout le Proche-Orient, le christianisme et surtout l’islam l’en ont chassée honteusement. Les figurines d’Anatolie, en terre cuite, représentant la Mère universelle aux hanches très larges, sont réparties dans les musées. Les figurations d’Ishtar ont été dérobées aux ruines de Babylone pour échouer au Louvre ou au British Museum. Si l’on veut actuellement accomplir un pèlerinage aux sanctuaires de la Déesse, il faut aller se recueillir sur des chantiers de fouilles d’où sont extraits tant bien que mal les vestiges de sa splendeur passée. Qu’elle soit représentée très simplement, et symboliquement, à l’époque néolithique, plus
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