La grande déesse
réaliste à l’époque assyro-babylonienne, plus chaste à l’époque hellénistique, elle semble avoir disparu des paysages familiers de l’Asie Mineure. Pourtant, à travers les statues qui montrent Cybèle couronnée d’une tour crénelée marquant sa puissance, ou au voisinage d’un pin, elle réveille des images fixées à jamais dans l’inconscient humain.
Le pin deviendra d’ailleurs son symbole, et ce symbole sera parfaitement expliqué par les auteurs de l’Antiquité qui décrivent avec d’abondants détails le culte qu’on lui rendait. Les grandes fêtes en l’honneur de Cybèle commençaient aux ides de mars : on observait alors une semaine de deuil qui commémorait la mort d’Attis, semaine marquée par une continence sexuelle absolue. Puis, le jour de l’équinoxe, les prêtres de Cybèle allaient couper un pin qu’on enveloppait de bandelettes, comme une momie, et qu’on ornait d’une statuette figurant Attis, avant de le porter en procession jusqu’au temple de la Déesse. Le pin représentait donc le fils-amant de Cybèle. Puis, le 24 mars, on célébrait la fête du Sang. Les plus exaltés des fidèles se tailladaient les épaules et les bras pour arroser le pin de leur sang, et donc participer eux-mêmes à la passion d’Attis. Le pin était alors descendu dans un caveau du temple où avait lieu une veillée de purification.
Le lendemain, aux premières lueurs de l’aurore, quand les rayons du soleil commençaient à pénétrer dans le sanctuaire, on pouvait alors contempler, étendu sur un lit de parade placé au pied de la statue de Cybèle, le jeune dieu ressuscité, incarné par un jeune fidèle. Ainsi débutait une journée triomphale où l’on célébrait la renaissance d’Attis. On disposait sur un char tiré par quatre chevaux l’image de Cybèle et celle d’Attis, en bonnet phrygien, portant le bâton pastoral. Suivait une procession composée de joueurs de flûte et de tambourin, de cymbaliers, de chanteurs, de porteurs de torches, de prêtres et de prêtresses vêtus de blanc et couronnés d’or, qui encadraient le grand prêtre, au pallium de pourpre. La procession parcourait la ville, s’arrêtant dans les temples de tous les autres dieux, ce qui était logique puisque Cybèle était la Mater deum , la « mère des dieux ». Tout se terminait par des festins et des beuveries interminables.
Cependant, ce n’était que la partie visible du rituel, d’autres cérémonies avaient lieu, dans le plus grand secret, que les chroniqueurs n’ont fait que suggérer. On peut supposer que les jeunes néophytes recevaient un baptême du sang et participaient à un repas de communion mystique, avec partage du pain et du vin, comme aux mystères d’Éleusis – et dans la Cène chrétienne. Puis ils devaient pénétrer dans la chambre nuptiale de Cybèle, vraisemblablement une cave obscure, image du ventre maternel, à laquelle on ne pouvait accéder qu’après avoir suivi un long couloir 76 symbolisant le conduit vaginal. Là, tout nouvel élu devait alors s’identifier à Attis et épouser mystiquement la déesse mère, ce qui lui faisait acquérir la certitude de partager la résurrection du fils-amant de Cybèle.
Nous connaissons fort bien les rituels – du moins extérieurs – de la dévotion à Cybèle parce que celle-ci est répandue très tôt dans tout l’empire romain, s’y mêlant au culte de Mithra et devenant ce qu’on a appelé la religion métroaque. Nous savons également que, pendant les 1 er et II e siècles de notre ère, cette religion métroaque s’est trouvée en concurrence directe et en rivalité farouche avec le christianisme naissant. Mais si les villes de l’empire romain, lequel comprenait alors la plus grande partie du Proche-Orient, accueillaient favorablement le culte de la déesse mère Cybèle, le plus grand centre métroaque était incontestablement Éphèse, où la Déesse avait été successivement honorée sous les noms d’Anahita, de Tanit, d’Astarté, de Cybèle bien entendu, mais aussi d’Aphrodite et d’Artémis.
Dans ces conditions, on ne peut guère s’étonner que les auteurs des Actes des Apôtres aient tenu à faire d’Éphèse le lieu où, après l’ascension de Jésus, la Vierge Marie était censée s’être retirée en compagnie de l’apôtre Jean. Le couple Cybèle-Attis avait cédé la place au « couple » Marie - Jean. On ne peut guère s’étonner non plus qu’au cours du fameux
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