La grande guerre chimique : 1914-1918
MoM
britannique, sur lequel on dispose de sources fiables, dépensa, entre 1915 et
novembre 1918, près de 19 millions de livres, ce qui reste
négligeable au regard des dépenses engagées dans les programmes de fabrication
d’explosifs conventionnels et insignifiant par rapport au coût total de la
guerre, qui s’éleva pour la Grande-Bretagne à près de 8 601 000 000
de livres.
Pour toutes ces raisons, on peut considérer que les armes
chimiques constituèrent dans le cadre de cette guerre nouvelle, industrielle et
totale, dont le but ultime était non plus la conquête du territoire ennemi mais
l’anéantissement physique de l’adversaire, un vecteur ultime et singulier de ce
conflit de l’annihilation mutuelle. Plus qu’une arme tactique, l’arme chimique
fut une arme stratégique. À défaut d’avoir pu mettre un terme à la guerre
immobile, elle fut l’arme d’une stratégie d’usure.
Conclusion générale
Une raison majeure et un préalable permettent d’expliquer l’apparition
de l’arme chimique au cours de la Première Guerre mondiale. Le préalable tient
bien évidemment au fait que l’un des belligérants disposait d’un niveau
scientifique et d’une capacité industrielle susceptibles d’élever l’arme
chimique au rang d’une alternative opérationnelle plausible. Au moment où
éclate le premier conflit mondial, et pour la première fois dans l’Histoire, l’Allemagne
possède ces capacités. Il faut cependant chercher la raison de l’avènement de
la guerre chimique dans la désespérante impasse tactique à laquelle sont
confrontées les armées engagées dans le conflit au début de l’année 1915
conjuguée au flou juridique entourant le statut des armes chimiques et que les
Allemands exploiteront avec un opportunisme cynique.
Au moment où l’arme chimique apparaît sur le champ de
bataille, elle n’est pas l’arme de l’anéantissement mais l’arme de la rupture,
de la percée si ardemment désirée. Certes, elle préfigure déjà l’évolution de
la guerre dans les mois qui vont suivre. Paradoxalement, c’est son échec à
obtenir cette percée qui va en faire le symbole le plus marquant de la
totalisation du phénomène guerrier. Expérimentée dans le but de rompre le front
ennemi et de reconquérir le mouvement, l’arme chimique devint au fil de la
guerre un vecteur de la guerre d’usure et de harcèlement. N’ayant pas satisfait
aux espoirs initiaux des stratèges et aux promesses entrevues dans les
laboratoires, elle n’en fut pas moins une arme essentielle, caractéristique des
conditions de combat de la Grande Guerre. En fait, il est très délicat d’évaluer
l’impact de l’arme chimique sur ce conflit. D’un point de vue militaire, le gaz
« ne fut pas tactiquement décisif » [804] . L’impact
premier de la guerre chimique réside incontestablement dans la façon dont elle
détermina les conditions de la guerre elle-même : des conditions
harassantes et parfois psychologiquement insoutenables, qui poussaient les
hommes à des efforts surhumains. L’arme chimique fut par excellence l’arme de l’attrition.
Une arme qui fit monter d’un cran le sentiment d’horreur et de dégoût que
suscite le souvenir de cette boucherie. Le brigadier-général Edmonds
déclarait à cet égard que : « Certes le gaz permit quelques succès
locaux mais plus que tout, il rendit les conditions mêmes de la guerre
insupportables. » [805] Incontestablement, son apparition a accompagné et marqué l’avènement d’une
nouvelle forme de la guerre, en caractérisant le processus de totalisation de
la guerre. « Puisque l’ennemi ne pouvait être vaincu par l’art de la
guerre, celle-ci changeait d’objet. Elle n’avait plus pour objectif d’obtenir
la victoire, l’agenouillement de l’ennemi, mais sa destruction, son élimination
physique ; la guerre d’usure devait tuer pour tuer, avec le plus d’efficacité
possible. » [806] De fait, l’évolution de l’arme chimique au cours du conflit épouse l’évolution
de la guerre elle-même, d’une guerre classique à la guerre d’extermination, d’anéantissement ;
une guerre totale dont l’arme chimique fut sans doute l’un des plus sombres
symboles.
La Première Guerre mondiale fut le premier conflit dans
lequel la science et la technologie jouèrent un rôle aussi déterminant. Certes,
les innovations militaires avaient déjà depuis des siècles influé sur l’issue
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