La grande guerre chimique : 1914-1918
Préface
Je suis heureux et fier de publier ce livre. Ma gratitude
va à Olivier Lepick, qui me l’a confié, à Guy Pedroncini qui le lui a suggéré,
à Michel Prigent, qui, sans la moindre hésitation s’est laissé convaincre. Sous
sa forme première, d’entrée de jeu parfaite, telle que je l’ai d’abord reçue, c’était
une thèse qui avait été, je l’ai appris, brillamment soutenue – comment en
douter ? – à l’Institut des hautes études internationales de
la prestigieuse Université de Genève : « Une guerre dans la guerre.
Aspects tactiques et stratégiques du conflit chimique, 1914-1918 ». À peine
retouchée, légèrement condensée, elle est devenue La grande guerre
chimique, 1914-1918, un titre franc, sans fard, amplement mérité. Olivier
Lepick, dont la culture scientifique lui permit de bien saisir l’objet,
allie l’érudition sans faille qui l’a conduit à une exploration sans
équivalent, sous cet angle d’approche difficile, des archives françaises,
britanniques, allemandes, pour ce qui en subsiste, et américaines. Tout ce qui
compte, donc…, restent l’Italie, l’Autriche et la Russie (très secondaires).
Sobriété, élégance… concision, vous admirerez l’érudition la plus exigeante que
nourrissent la solidité et la clarté de l’information statistique condensée en
graphiques – ils permettent d’embrasser d’un regard les rapports – et
surtout l’intelligence d’un véritable historien, comme on en compte sur les
doigts d’une seule main…
Je n’oublie pas l’instant où, recevant les deux volumes
de la thèse, que j’avais ouverts avec lassitude et prévention, a priori, de celui qui en a trop vu, saisi dès les premières lignes, je lus, d’un seul
trait, de la première à la dernière page, retenu par la précision, la rigueur
et quelque chose en plus, le génie de l’histoire, plus simplement l’intelligence
d’un homme et peut-être aussi le cœur. Ce n’était pas une thèse, mais un livre
au service d’une « thèse » au sens plein. Et quel livre, vous allez
en juger.
Sans nul doute, j’étais prêt à le recevoir. Né le 17 août 1923,
à 500 m des limites de la ville massacrée, au pied de l’avant-côte de
Meuse qui couvre le flanc-Est d’une forteresse naturelle, à 1 km de la « zone
rouge » défoncée, dans une maison rasée, hâtivement rebâtie, il me suffit,
aujourd’hui encore, de fermer les yeux pour me souvenir des séquelles de cette « arme
déloyale » sur les gazés, au teint jaunâtre, au souffle court, que
menaçait la cécité au terme d’une vie de combien d’années écourtée et à jamais
du bonheur de respirer privés. Les adultes ne manquaient pas de rappeler à l’enfant
que le recours à cette « arme déshonorante » était une raison
supplémentaire de haïr l’Allemagne wilhelmine qui avait le 22 avril 1915,
pour la première fois, soulevé le couvercle de cette boîte de Pandore, de tant
de souffrances remplie. Pour ceux qui m’entouraient, la culpabilité de la seule
Allemagne ne faisait aucun doute, le viol de la neutralité de la Belgique, que
rappelait la vénération dont les Lorrains entouraient le roi Albert, le « roi
chevalier », le bombardement de la cathédrale de Reims, les victimes
civiles de la guerre sous-marine et, couronnant le tout, les deux étapes de la
guerre des gaz 1915 et 1917, le chlore et l’ypérite, dont la simple évocation à
voix basse faisait frissonner l’enfant et serrer les poings, étaient le péché
contre le Saint-Esprit de l’Allemagne dès avant Hitler, celui dont il est
enseigné qu’il est exclu du pardon de Dieu. Olivier Lepick a éveillé en moi des
souvenirs que je croyais définitivement enfouis. On n’échappe pas à l’enfance.
L’historien qui doit prendre en compte l’irrationnel, qui souvent nous conduit,
a le devoir de s’en souvenir, je viens de mieux comprendre le lien qui existe
entre ce « surcroît » de souffrances inutiles et inégalement
ventilées et l’antimilitarisme asymétrique et cocasse – nous en avons
connu des échantillons que le refus couard « de mourir pour Dantzig »
a conduits dans les rangs de la division Charlemagne où on mourait pour une
cause infiniment moins noble. Les bruits absurdes qui venaient d’un au-delà mal
cerné, porteurs de la menace des bombardements nocturnes par les gaz des civils
endormis, anticipaient les manipulations psychologiques de l’
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