La Guerre Des Amoureuses
là. On arrivera
peut-être à la Côle.
La brume s’épaississait. Avec la neige qui
volait dans leurs yeux, ils y voyaient de moins en moins. La fatigue se faisait
sentir. Les chevaux trébuchaient ou glissaient parfois sur le sentier
rocailleux. Cassandre avait encore faim. Un peu plus tôt, ils avaient partagé
le pain, mais ils devaient garder l’autre pour plus tard, avait décidé
Rouffignac. À l’étape, il ferait cuire des châtaignes, avait-il promis.
Où allaient-ils dormir ?
Ils replongèrent dans un bois, au fond d’un
vallon. Au bout d’une heure, remontés au sommet d’une légère butte, ils
découvrirent un village.
Ce n’était pas vraiment un village. Juste
quelques maisons basses serrées autour d’un mur d’à peine une toise, mais il n’y
avait aucune fumée. Un champ au-devant avait été défriché et cultivé mais
paraissait abandonné.
Ils s’arrêtèrent un moment, observant l’endroit.
C’est alors qu’ils virent le loup. Il ne se pressait pas, il n’avait pas peur. C’était
un très gros loup gris qui tenait quelque chose entre ses mâchoires. L’animal
descendait de la butte pour regagner le bois. Il s’arrêta quand il les vit, posa
sur le sol ce qu’il serrait dans sa gueule et se mit à hurler. Puis il récupéra
l’objet et s’éloigna vers la forêt.
Cassandre n’était pas sûre de ce qu’elle avait
vu : une main humaine entre les dents du loup…
Contournant l’élévation, Rouffignac fit
avancer son cheval vers l’endroit d’où le loup sortait. Cassandre le suivit. Ils
longèrent le mur d’enceinte et découvrirent un autre mur, plus bas. C’était le
cimetière.
— C’était un loup-garou ! affirma
Rouffignac d’une voix blanche. Il venait de là !
— C’était un loup, Émeric ! Et il
avait un bras d’homme dans la gueule ! Il a dû déterrer un cadavre.
Elle sortit son épée et pressa son cheval, passa
devant lui et entra dans le village dont les doubles battants de la porte
étaient ouverts.
En fait, il n’y avait qu’une grande maison
serrée contre une grange, une étable et un cellier. Les constructions étaient
en torchis de paille et de terre à pans de bois. L’enceinte n’était qu’une
protection contre les rôdeurs et les animaux sauvages. Le mur fermait une cour
intérieure où le bétail et la basse-cour devaient être à l’abri. Le lieu avait
l’air abandonné.
Elle sauta au sol. La grange était vide, l’étable
aussi, visiblement depuis longtemps. Elle passa devant un puits, ouvrit le
loquet de la maison et entra. L’odeur de mort et d’excréments la prit à la
gorge.
Elle fit quelques pas dans la sombre pièce. Il
n’y avait qu’une fenêtre aux minuscules verres dépolis. Sur un lit à rideaux
crasseux reposaient deux corps. À leurs visages noirs, elle reconnut les
stigmates du mal et sortit précipitamment.
Rouffignac attendait dehors, terrorisé.
— La peste, dit-elle en s’efforçant de
rester calme.
Les yeux hagards, il secoua la tête.
— Les autres loups-garous vont venir. Partons !
dit-il d’une voix apeurée.
— Ne soyez pas stupide, les loups-garous
n’existent pas ! Quand il fait grand froid et que leur gibier manque, les
loups dévorent les cadavres morts de maladie. Celui que l’on a vu a seulement
sorti un corps fraîchement enseveli.
— Non ! rétorqua-t-il en se signant.
Ce sont des sorciers qui se sont transformés en loups ! Ils ont porté la
peste pour pouvoir dévorer les paysans et les enfants. Rassasié, ce loup
reprendra sa forme humaine. Je le sais ! Même que lorsqu’ils sont blessés,
ils gardent leur blessure en redevenant des hommes.
— Sornette ! Allons voir le
cimetière si vous ne croyez pas qu’il a simplement dévoré un cadavre.
— Non ! hurla-t-il.
Il se signa encore et commença à psalmodier un
pater.
— Vous connaissiez cette ferme ? demanda-t-elle
pour changer de sujet.
— Non !
— La nuit approche, nous devrions dormir
dans la grange.
— Non ! Le loup-garou va revenir !
assura-t-il, terrorisé. Il faut repartir !
Elle le considéra avec incrédulité. Émeric
tremblait comme une vieille femme. Qu’était devenu le jeune homme courageux et
plein d’audace qui avait égorgé Puyferrat et l’avait fait évader ?
— Pour aller où ? Écoutez, plutôt !
dit-elle.
Les hurlements de loups se faisaient entendre
du côté du bois.
— Il y a d’autres loups-garous ! glapit-il.
Si nous restons,
Weitere Kostenlose Bücher