La Guerre Des Amoureuses
surpris quelques mots à l’hostellerie,
ne parla pas de la duchesse de Montpensier et conclut en assurant ne pas en
savoir plus.
Depuis des années, elle improvisait de la commedia dell’arte et Catherine de Médicis était trop surprise pour mettre
en doute ses explications. Elle interpréta le trouble d’Isabella comme une
marque de fidélité envers elle.
— Hélène, portez-moi ma cassette !
La fille d’honneur obéit, se rendant dans le
petit cabinet et rapportant le coffret. Catherine l’ouvrit et sortit une
poignée d’écus qu’elle donna à la comédienne.
— Je compte sur vous demain pour le
spectacle, fit-elle, aigrement.
Isabella s’enfuit. Traversant les jardins du
château, elle jeta les pièces d’or dans un fourré en sanglotant. Rentrée à l’hôtellerie,
elle s’enferma dans sa chambre, morte de honte. Qu’avait-elle fait ?
Pendant ce temps, la reine avait appelé son
capitaine des gardes, fait fermer les portes de la ville et donné ordre qu’on
arrête Nicolas Poulain pour félonie. Peu de temps après, des détachements
partaient sur les routes à sa recherche tandis que des messagers prévenaient
les prévôts de La Haye et de Châtellerault.
M. de Bezon était resté silencieux.
Le lendemain, la
neige commença à tomber alors qu’ils avaient repris le chemin du
Grand-Pressigny. En passant à Betz, ils achetèrent du pain à la ferme du
château. Comme ils repartaient, un gamin d’une effrayante maigreur, pieds nus
dans ses sabots, s’approcha d’Olivier.
— Monsieur, des gens vous cherchent !
Pour un sol, je vous dirai qui…
Nicolas s’approcha de lui, la main sur son
épée.
— Qui ?
— Des soldats, monsieur, bredouilla l’enfant
brusquement apeuré par ce gentilhomme intimidant. Ils sont arrivés hier soir et
ont dormi au château. Ils partaient pour Le Grand-Pressigny.
Olivier lui donna le sol demandé.
— Combien étaient-ils ?
— Six, monsieur, ils venaient de Loches.
Comment la reine avait-elle pu savoir si vite ?
se demanda Nicolas. M. de Montpensier l’aurait-il trahi ?
Bien sûr, Nicolas Poulain ne pouvait imaginer
la dénonciation d’Isabella. Quant à M. de Montpensier, s’il ne l’avait
pas trahi comme il le craignait, le duc était pourtant resté silencieux quand
la reine avait annoncé au conseil qu’elle ferait pendre ce prévôt félon qui
avait rejoint les protestants.
Ils avaient envisagé de traverser la Creuse au
pont de La Haye, mais avec les cavaliers qui les cherchaient, c’était
impossible.
— Petit, où y a-t-il un pont sur la
Creuse ? demanda-t-il au gamin.
— À La Haye, monsieur, je l’ai jamais vu,
mais mon grand-père l’a traversé.
— À part La Haye ?
— À La Guerche, je crois qu’il y a un
pont devant le château.
La Guerche appartenait à Claude de Villequier,
le frère aîné de René – le gros Villequier –, le beau-père du marquis d’O. C’était
assez loin de La Haye, on ne les chercherait pas si bas, se dit Poulain.
Ils choisirent de passer par là et repartirent,
s’égarant parfois dans de petits chemins enneigés.
La nuit, ils dormirent dans la grange d’un
prieuré et furent à La Guerche le lendemain matin. Les tours circulaires du
château et la tour carrée de l’entrée dominaient les eaux de la rivière. Ils
durent acquitter un péage pour franchir le vieux pont en dos d’âne, mais
personne ne les interrogea.
Passé la Creuse, la campagne changea. Les
trois hommes découvrirent de plus en plus de champs en friche, de châteaux et
de maisons en ruine ou brûlés. Les fermes étaient fortifiées, les fermiers
refusaient de leur vendre du ravitaillement ou de les héberger. Ils ne
trouvèrent asile que dans des monastères.
Ils aperçurent plusieurs fois des troupes de picoreurs
qui sillonnaient les chemins. Étaient-ce des protestants ou des bandes
indisciplinées de l’armée catholique qui battaient la campagne ? Ils ne
cherchaient pas à le savoir et fuyaient au galop ou se cachaient dès qu’ils les
repéraient. Six jours après leur départ de Loches, épuisés, transis et affamés,
ils arrivèrent à proximité d’un village en espérant pouvoir passer la nuit dans
une auberge tant ils avaient besoin de se sécher et de se restaurer. Mais
était-ce un village catholique ou protestant ?
Les trois amis avaient cousu leur passeport
dans leur pourpoint. Olivier avait ainsi caché la lettre de Montaigne et
Venetianelli gardait celle
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