La guerre des rats(1999)
n’existaient plus, leurs habitants avaient été évacués ou étaient morts. Les envahisseurs qui avaient pris leur place marchaient en titubant ou se terraient dans des trous pour se protéger du vent.
Au début de l’après-midi, Nikki avait parcouru six kilomètres depuis le silo. Le nombre croissant de soldats qui semblaient marcher sans but parmi les chars lui fit comprendre qu’il approchait de la limite sud de la formation en hérisson de la Sixième Armée. Certains hommes tendaient des fils barbelés ; d’autres affrontaient le froid pour regagner une tente, une tranchée, ou simplement pour rester en mouvement, Nikki n’aurait su dire.
Le destin, pensa-t-il. Il s’assombrit au fil des heures. Il pousse comme une barbe sur le visage de ces hommes.
Il approcha d’un groupe rassemblé autour d’un tonneau dans lequel brûlaient des planches.
— On se bat beaucoup, par ici ? s’enquit-il.
Un des soldats qui fixaient le feu répondit :
— Ah ouais ! On se bat contre le froid, les poux, la chiasse, la faim…
Il leva les yeux vers la plaine luisante, au sud, où les Russes étaient massés derrière le rideau de neige.
— On se bat aussi contre eux quand ça leur chante. Tu viens d’où ? (Du menton, Nikki indiqua le nord, derrière lui.) Putain, t’as dû en baver. Qu’est-ce que tu fous ici ?
— Je marche.
Le sourire du soldat hérissa les poils blonds couvrant ses joues.
— Ouais.
Nikki défit ses moufles pour chauffer ses mains aux flammes dansant dans le tonneau.
— Les rouges ont fait beaucoup de prisonniers ?
— Tu veux dire, est-ce que les rouges font des prisonniers ? corrigea l’homme. (Le caporal acquiesça de la tête.) Des fois oui. Des fois non. Ça dépend s’ils sont en rogne ou pas. En général, ils le sont plutôt. On les entend gueuler et tirer sur des gars qui ont lâché leur arme et tiennent les bras en l’air. Là-bas à l’ouest, les Roumains se font écraser. C’est moche. Quand j’ai vu ça, je suis revenu ici en courant, et je bouge plus. Je préfère crever de faim, merci. Salauds de Russes. C’est pas juste.
— Ils ont une bonne raison d’être en colère, fit observer Nikki.
L’homme cracha dans le feu, où sa salive grésilla brièvement.
Nikki passa une main sous sa parka pour tâter l’enveloppe contenant ses ordres de mission, avec le cachet Services de Renseignements. Il restait affecté à l’unité de collecteurs d’informations du lieutenant Ostarhild. À ce titre, il pouvait se rendre n’importe où sur le champ de bataille sans escorte.
Il remit ses gants, leva les yeux des flammes pour regarder en direction des lignes russes, au sud. Le froid giflait ses joues. Il remonta son cache-nez de toile sur sa bouche et son nez. Quand il s’adressa à l’homme le plus proche, le tissu retint son haleine et réchauffa ses lèvres.
— Je suis un fermier, dit-il pardessus le sifflement du vent et le crépitement du feu. Un éleveur de Westphalie.
Et Nikki Mond s’enfonça dans le tourbillon blanc.
Epilogue
L’après-midi du 8 janvier 1943, les forces russes encerclant le Chaudron interrompirent leur assaut contre la Sixième Armée prise au piège pour attendre la réponse à une offre de reddition faite par le haut commandement soviétique au commandant en chef allemand, le général Friedrich von Paulus. Les conditions de cette capitulation étaient généreuses, et assorties d’une menace de Staline d’anéantir la Sixième Armée si elle continuait à résister. Le lendemain, l’offre fut rejetée, la bataille reprit.
La décision de repousser la proposition russe ne fut pas prise sur place par Paulus, mais par Adolf Hitler lui- même dans la Tanière du Loup, le château de Prusse-Orientale où il avait installé son état-major. Aucun de ceux qui avaient assisté aux souffrances des hommes de la Sixième Armée n’aurait pu leur demander de combattre un jour de plus.
Le Führer avait décidé que Paulus et ses soldats émaciés, tremblants, tiendraient coûte que coûte la « Forteresse Stalingrad ». Sacrifice tragique, mais néces saire sur le plan stratégique pour retenir les forces russes et permettre à ce qu’il restait du groupe d’armées du Don, commandé par Manstein, et du groupe B de la Sixième Armée, placé sous les ordres du maréchal Fedor von Bock, près de Rostov, de se replier vers le nord. Hitler craignait à juste titre la puissance renaissante de l’Armée rouge et avait besoin de
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