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La Guerre Du Feu

La Guerre Du Feu

Titel: La Guerre Du Feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: J.H. Rosny aîné
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locustes.
    Les loups sentirent s’accroître la puanteur affreuse de leurs glandes.
    C’étaient des rôdeuses de haute stature qui, par la force énorme de leurs mâchoires, eussent tenu tête aux tigres. Mais elles ne faisaient face qu’acculées, ce qui n’arrivait guère, aucun rôdeur ne recherchant leur chair fétide et les autres mangeurs de charognes étant plus faibles qu’elles. Quoiqu’elles connussent leur supériorité sur les loups, elles hésitaient, elles tournaient dans la lueur nocturne, approchant et reculant, enflant, par intervalles, des clameurs déchirantes. À la fin, elles montèrent à l’assaut toutes ensemble.
    Les loups ne tentèrent aucune résistance, mais, sûrs d’être les plus agiles, ils demeuraient à courte distance. Parce qu’elle leur échappait, ils regrettèrent la proie dédaignée. Ils rôdaient autour des hyènes avec des hurlements soudains, avec des feintes d’attaque, avec des gestes malicieux, contents d’inquiéter les ennemies.
    Elles, sombres et grondantes, attaquaient la carcasse : elles l’eussent préférée putride, grouillante, mais leurs derniers repas avaient été pauvres, et la présence des loups excitait leur voracité ! Elles savourèrent d’abord les entrailles ; broyant les côtes de leurs dents indestructibles, elles extirpèrent le cœur, les poumons, le foie et la langue râpeuse, que l’agonie avait fait saillir. C’était tout de même la volupté de refaire la chair vive avec la chair morte, la douceur de se repaître au lieu de rôder le ventre vide et la tête inquiète. Les loups le comprenaient bien, eux qui pourchassaient en vain, depuis le crépuscule, les émanations de l’air et du sol.
    Dans leur fureur déçue, plusieurs allèrent flairer les blocs erratiques. L’un d’eux glissa sa tête par une ouverture ; Naoh, avec dédain, lui allongea un coup d’épieu. Atteint à l’épaule, la bête sautillait sur trois pattes, avec un hurlement lamentable. Alors, tous clamèrent, de façon éclatante et farouche, où la menace était un simulacre. Leurs corps roux oscillaient dans le clair de lune, leurs yeux reluisaient de l’ardeur et de la crainte de vivre, leurs dents jetaient des lueurs d’écume, tandis que leurs pattes fines rasaient le sol, avec un petit bruit frissonnant, ou se roidissaient dans l’attente : le désir de se repaître devenait insupportable. Mais, sachant que, derrière le basalte, gîtaient des êtres astucieux et solides, qui ne succomberaient que par surprise, ils cessèrent leur rôderie. Agglomérés en conseil de chasse, ils échangèrent des rumeurs et des gestes, plusieurs assis sur leur train arrière, la gueule en attente, certains agités, s’entrefrottant les échines. Les vieux appelaient l’attention, surtout un grand loup au pelage blême, aux dents d’ocre : on l’écoutait, on le regardait, on le flairait avec déférence.
    Naoh ne doutait pas qu’ils eussent un langage : ils s’entendent pour dresser des embuscades, cerner la proie, se relayer pendant les poursuites, partager le butin. Il les considérait avec curiosité, comme il eût considéré des hommes, il cherchait à deviner leur projet.
    Une troupe passa la rivière à la nage ; les autres s’éparpillèrent sous le couvert. On n’entendit plus que les hyènes acharnées sur le cadavre du tigre.
    La lune, moins vaste et plus lumineuse, alanguissait les étoiles ; les plus faibles demeuraient invisibles, les brillantes semblaient mal allumées et comme noyées sous une onde ; une torpeur équivoque couvrait la forêt et la savane. Parfois une effraie sillonnait l’atmosphère bleue, extraordinairement silencieuse sur ses ailes d’ouate, parfois les raines clapotaient en bandes, posées sur les feuilles des nymphéas ou hissées sur les ragots ; les noctuelles, s’élançant en courses tremblotantes, se heurtaient à quelque chauve-souris soubresautant à travers les pénombres.
    Enfin, des hurlements retentirent. Ils se répondaient le long de la rivière et dans les profondeurs des fourrés ; Naoh sut que les loups avaient cerné une proie. Il n’attendit pas longtemps pour en avoir la certitude. Une bête jaillit sur la plaine. On eût dit un cheval au poitrail étroit ; une raie brune soulignait son échine. Elle s’élançait, avec la vélocité des élaphes, suivie de trois loups qui, moins lestes qu’elle, n’auraient pu compter que sur leur endurance ou sur un accident pour la rattraper.

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