La Guerre Du Feu
racine, arrachaient les pousses et les écorces ; les mangeurs de fruits rôdaient parmi les ramures ; les rongeurs consolidaient leurs terriers ; les carnivores guettaient infatigablement dans les viandis, s’embusquaient aux abreuvoirs, exploraient la pénombre des fourrés et se dissimulaient au creux des rocs.
Hors les bêtes qui hibernent ou celles qui accumulent des provisions dans leur retraite, les êtres travaillaient très durement, avec des besoins accrus et des ressources diminuées.
Naoh, Nam et Gaw souffrirent à peine de la faim. Le voyage et l’aventure avaient parfait leur instinct, leur adresse et leur sagacité. Ils devinaient de plus loin la proie ou l’ennemi ; ils pressentaient le vent, la pluie et l’inondation. Chacun de leurs gestes s’adaptait adroitement au but et économisait l’énergie. D’un regard, ils discernaient la ligne de retraite favorable, le gîte sûr, le bon terrain de combat. Ils s’orientaient avec une certitude presque égale à celle des oiseaux migrateurs. Malgré les montagnes, les lacs, les eaux stagnantes, les forêts, les crues qui changent la figure des sites, ils s’étaient chaque jour rapprochés du pays des Oulhamr. Maintenant, avant une demi-lune, ils espéraient rejoindre la horde.
Un jour, ils atteignirent un pays de hautes collines. Sous un ciel bas et jaune, les nues remplissaient l’espace et s’affalaient les unes sur les autres, couleur d’ocre, d’argile ou de feuilles flétries, avec des abîmes blancs, qui décelaient leur immensité. Elles semblaient couver la terre.
Naoh, entre tant de routes, avait choisi un long défilé, qu’il reconnaissait pour l’avoir parcouru à l’âge de Gaw, avec un parti de chasseurs. Tantôt creusé entre des calcaires, tantôt s’ouvrant en ravin, il finissait en un corridor à la pente rapide, où il fallait souvent gravir des pierres éboulées.
Les Nomades le parcoururent sans aventure, jusqu’aux deux tiers de sa longueur. Vers le milieu du jour, ils s’assirent pour manger. C’était dans un demi-cirque, carrefour de crevasses et de cavernes. On entendait le grondement d’un torrent souterrain et sa chute dans un gouffre ; deux trous d’ombre s’ouvraient dans le roc, où apparaissait la trace de cataclysmes plus anciens que toutes les générations de la bête.
Quand Naoh eut pris sa nourriture, il se dirigea vers l’une des cavernes et la considéra longuement. Il se rappela que Faouhm avait montré à ses guerriers une issue par où l’on trouvait un chemin plus rapide vers la plaine. Mais la pente, semée de pierres trébuchantes, convenait mal à une troupe nombreuse : elle devait être plus praticable à trois hommes légers ; Naoh eut envie de la prendre.
Il alla jusqu’au fond de la caverne, reconnut la fissure et s’y engagea, jusqu’à ce qu’une faible lueur lui annonçât une sortie prochaine. Au retour, il rencontra Nam, qui lui dit :
– L’ours géant est dans le défilé !
Un appel guttural l’interrompit. Naoh, se jetant à l’entrée de la caverne, vit Gaw dissimulé parmi les blocs, dans l’attitude du guerrier qui guette. Et le chef eut un grand frémissement.
Aux issues du cirque apparaissent deux bêtes monstrueuses. Un poil extraordinairement épais, couleur de chêne, les défend contre l’hiver proche, la dureté des rocs et les aiguillons des plantes. L’une d’elles a la masse de l’aurochs, avec des pattes plus courtes, plus musculeuses et plus flexibles, le front renflé, comme une pierre mangée de lichen : sa vaste gueule peut happer la tête d’un homme et l’écraser d’un craquement des mâchoires. C’est le mâle. La femelle a le front plat, la gueule plus courte, l’allure oblique. Et par leurs gestes, par leurs poitrines, ils montrent quelque analogie avec les Hommes-au-poil-bleu.
– Oui, murmure Naoh, ce sont les ours géants.
Ils ne craignent aucune créature. Mais ils ne sont redoutables que dans leur fureur ou poussés par une faim excessive, car ils recherchent peu la chair. Ceux-ci grondent. Le mâle soulève ses mâchoires et balance la tête d’une façon violente.
– Il est blessé, remarque Nam.
Du sang coulait entre les poils. Les Nomades craignirent que la blessure n’eût été faite par une arme humaine. Alors, l’ours chercherait à se venger. Dès qu’il aurait commencé l’attaque, il ne l’abandonnerait plus : nul vivant n’était plus opiniâtre. Avec son épais pelage et sa peau
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