La Guerre Du Feu
certitude de mourir.
Naoh ne put souffrir de voir tuer son compagnon ; il s’avançait, tenant une sagaie et sa massue, lorsque la femme-chef l’arrêta :
– Ne frappe pas ! dit-elle.
Elle lui fit comprendre qu’au premier coup Nam périrait. Tout frémissant entre l’élan qui le poussait à combattre et la peur de faire broyer le fils du Peuplier, il poussa un soupir rauque et regarda. L’Homme-au-poil-bleu avait soulevé le Nomade : il grinçait des dents, il le balançait, prêt à l’écraser contre un tronc d’arbre... Soudain, son geste s’arrêta. Il regarda le corps inerte, puis le visage. Ne percevant aucune résistance, ses mâchoires farouches se détendirent, une vague douceur passa dans ses yeux fauves ; il déposa Nam sur le sol.
Si le jeune homme avait fait un mouvement de défense ou même d’effroi, la main terrible l’aurait ressaisi. Il en eut l’instinct, il demeura immobile...
La horde entière, mâles, femelles et petits, était venue. Tous reconnaissaient confusément en Nam une structure analogue à la leur. Pour des Nains Rouges ou des Oulhamr, ç’aurait été un motif plus fort de tuerie. Mais leur âme était très obscure ; ils ne connaissaient pas la guerre ; ils ne mangeaient pas de chair et vivaient sans traditions. L’instinct les irritait contre les fauves qui emportent les jeunes ou dévorent les blessés, parfois une rivalité exaspérait les mâles, mais ils ne tuaient pas les bêtes qui se nourrissent d’herbe.
Devant le Nomade, ils demeuraient pleins d’incertitude. Son immobilité les apaisait et la douceur brusque du grand mâle. Car il était celui à qui les autres mâles ne résistaient plus depuis bien des saisons, qui les menait à travers la forêt, choisissant les routes ou les haltes, faisant reculer les lions. Pour n’avoir pas encore mordu ou frappé, tous devenaient moins capables de le faire. Bientôt, l’image du combat s’effaçant dans leurs cerveaux, la vie de Nam fut sauve. Elle ne serait plus menacée que si lui-même faisait le geste d’attaquer ou de se défendre. Il aurait pu maintenant les suivre, sans qu’ils s’en inquiétassent, peut-être vivre à côté d’eux.
Comme il avait senti le souffle de la destruction, ainsi sentit-il que le péril venait de disparaître. Il se redressa sur son séant, avec lenteur, et attendit. Pendant un moment, ils ne cessèrent de l’observer, avec une défiance lointaine. Puis une femelle, tentée par une pousse tendre, ne songea plus qu’à la dévorer ; un mâle se mit à déterrer des racines ; peu à peu tous obéirent au besoin profond de la nourriture : comme ils tiraient toute leur force des plantes et que leur choix était plus restreint que celui des élaphes ou des aurochs, la tâche était longue, minutieuse, continue...
Le jeune Nomade fut libre. Il rejoignit Naoh qui s’était avancé dans la clairière et tous deux regardaient les Hommes-au-poil-bleu disparaître et reparaître. Nam, encore palpitant de l’aventure, aurait voulu les voir mourir. Mais Naoh ne haïssait pas ces hommes étranges ; il admirait leur force comparable à celle des ours, et songeait que, s’ils le voulaient, ils anéantiraient les Wah, les Nains Rouges, les Dévoreurs d’Hommes et les Oulhamr.
8
L’ours géant est dans le défilé
Depuis longtemps, Naoh avait quitté les Wah et traversé la forêt des Hommes-au-poil-bleu. Par l’échancrure des montagnes, il avait gagné les plateaux. L’automne y était plus frais, les nuages roulaient, interminables, le vent hurlait des journées entières, l’herbe et les feuilles fermentaient sur la terre misérable et le froid massacrait les insectes sans nombre, sous les écorces, parmi les tiges branlantes, les racines flétries, les fruits pourris, dans les fentes de la pierre et les fissures de l’argile. Lorsque la nue se déchirait, les étoiles semblaient glacer les ténèbres. La nuit, les loups hurlaient presque sans relâche, les chiens poussaient des clameurs insupportables ; on entendait le cri d’agonie d’un élaphe, d’un saïga ou d’un cheval, le miaulement du tigre ou le rugissement du lion, et les Oulhamr apercevaient des profils flexibles ou des yeux de phosphore, brusquement apparus sur le cercle d’ombre qui enveloppait le Feu.
La vie se faisait plus terrible. Avec l’hiver proche, la chair des plantes devenait rare. Les herbivores la cherchaient désespérément au ras du sol, fouillaient jusqu’à la
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