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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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et cependant il continuait à leur parler et à les étonner par de brillantes citations, qui pourtant n’avaient aucun sens… Peu à peu ces figures s’évanouirent, et toute son attention se concentra sur la porte entr’ouverte de l’isba… Parviendra-t-il à la fermer assez vite ? « tout » dépend de cela. Il se lève, il s’en approche pour tirer le verrou, mais ses jambes fléchissent sous lui, et il sent qu’il n’arrivera pas à temps !… Réunissant toutes ses forces dans un effort suprême, il va se jeter en avant, lorsqu’une angoisse terrible l’étreint… Cette angoisse, c’est la terreur de la mort… C’est la mort qui est là, là, derrière la porte, et, au moment où il s’y traîne haletant, l’affreux spectre la pousse, l’enfonce et pénètre dans la chambre !… Cet être innommé, c’est la mort, la mort qui vient à lui, et il faut à tout prix qu’il lui échappe !… Il saisit la porte… la refermer n’est plus possible, mais, en rassemblant ce qui lui reste de forces, peut-être pourra-t-il du moins l’empêcher de passer ?… Hélas ! ses forces s’épuisent, il s’agite dans le vide, et la porte remue de nouveau !… Il tente une fois encore de résister à la pression du dehors… Peine inutile !… Le spectre entre, il est entré… et le prince André se sent mourir !
    À ce moment il comprit qu’il dormait, et, faisant un violent effort, il se réveilla…
    « Oui, c’était bien là la mort !… Mourir et se réveiller ! La mort est donc le réveil ?»
    Cette pensée passa comme un éclair dans son esprit, et un coin du voile qui lui dérobait encore l’inconnu se releva dans son âme ! Il sentit son corps délivré des liens qui l’attachaient à la terre, et il éprouva un mystérieux bien-être, qui depuis lors ne le quitta plus !
    Réveillé par la sueur froide qui l’inondait, il fit un mouvement. Natacha s’approcha et lui demanda ce qu’il désirait. Il ne comprit pas sa question et fixa sur elle un regard étrange. C’était « cela » dont elle avait parlé à la princesse Marie !… À dater de cette heure, la fièvre prit un caractère pernicieux, et, quoi qu’en pussent dire les médecins, elle ne pouvait plus se méprendre sur les symptômes moraux qui se développaient chez le malade avec une effroyable intensité.
    Ses derniers jours et ses dernières heures s’écoulèrent paisibles et sans qu’il se produisît dans son état aucun nouvel incident.
    La princesse Marie et Natacha ne le quittaient pas d’une minute, mais elles sentaient que leurs soins s’adressaient uniquement à ce qui ne serait bientôt plus pour elles qu’un cher et lointain souvenir, à son enveloppe matérielle, et que son esprit n’était déjà plus de ce monde. La violence de leurs sensations était telle, que le spectacle terrible de la mort n’avait pas de prise sur leurs âmes. Jugeant inutile d’aviver leur douleur, elles ne pleuraient, ni quand elles étaient à ses côtés, ni hors de sa présence, et, se trouvant impuissantes à exprimer par des paroles ce qu’elles éprouvaient, elles ne s’entretenaient plus de lui. Elles le voyaient s’abîmer lentement, avec calme, dans l’inconnu, et toutes deux savaient que c’était bien et que ce devait être ainsi.
    Il se confessa, il communia, et prit congé des siens. Lorsqu’on lui amena son fils, il effleura sa joue de ses lèvres et se tourna, non pas par regret de la vie, mais parce qu’il supposait que c’était tout ce qu’on attendait de lui. On le pria cependant de bénir l’enfant : il le fit et jeta ensuite sur ceux qui l’entouraient un coup d’œil interrogateur. Il semblait leur demander s’il n’y avait pas encore quelque chose à faire ; il rendit enfin le dernier soupir entre les bras de la princesse Marie et de Natacha.
    « C’est fini ! » dit sa sœur quelques secondes après.
    Natacha se pencha sur lui, regarda ses yeux sans vie et les ferma.
    « Où est-il à présent ? » se demanda-t-elle. Lorsqu’il fut couché dans le cercueil, tous s’en approchèrent pour lui dire un dernier adieu. Le cœur de l’enfant était déchiré par une poignante surprise. Tous pleuraient ; la comtesse et Sonia sur Natacha et sur celui qui n’était plus, et le vieux comte sur lui-même ; il prévoyait qu’il aurait bientôt le même pas à franchir.
    Natacha et la princesse Marie pleuraient également, non sur leur propre douleur, mais sous

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