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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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vivres pour l’armée étaient réunis principalement le long de l’Oka, dans les gouvernements de Toula et de Kazan ; donc, en cas de retraite sur Nijni, le transport des approvisionnements pour l’armée serait intercepté par la rivière qu’on ne pouvait leur faire traverser à l’entrée de l’hiver. Ce fut la première considération qui fit abandonner le plan primitif, en somme le plus naturel. L’armée se tint donc à portée des vivres. Puis l’inaction des Français, qui avaient perdu la trace des Russes, la nécessité de couvrir et de défendre les manufactures d’armes, et surtout l’avantage d’être à portée des vivres, forcèrent l’armée à incliner davantage vers le sud. Après avoir passé sur la route de Toula par un mouvement désespéré, les chefs de l’armée pensaient s’arrêter à Podolsk, mais l’apparition des troupes françaises, d’autres circonstances, et entre autres l’abondance des subsistances à Kalouga, engagèrent l’armée à continuer sa marche vers le sud, et à passer de la route de Toula sur celle de Kalouga, en se dirigeant vers Taroutino. De même qu’il est difficile, sinon impossible, de préciser l’instant où l’abandon de Moscou avait été résolu, de même on ne peut exactement dire avec précision quel est celui qui a décidé la marche sur Taroutino, et pourtant chacun crut s’y être établi en vertu de la volonté et de la décision des chefs.

II
    La route suivie était si bien celle que l’armée devait infailliblement prendre, que les maraudeurs mêmes se répandirent dans cette direction, et Koutouzow s’attira le blâme de l’Empereur pour avoir d’abord conduit l’armée par la route de Riazan, au lieu de se diriger sur Taroutino. L’Empereur lui-même lui avait indiqué ce mouvement dans une lettre que le commandant en chef reçut seulement après y être arrivé.
    Le service rendu par Koutouzow ne consistait pas dans une manœuvre de génie, mais bien dans l’intelligence du fait accompli. Lui seul attribuait à l’inaction des Français son importance réelle ; lui seul soutenait que la bataille de Borodino avait été une victoire ; lui seul, qui, par sa position de commandant en chef, semblait être appelé à prendre l’offensive, faisait tout, au contraire, pour empêcher l’armée russe de dépenser inutilement ses forces dans des combats stériles.
    La bête fauve, blessée à mort à Borodino, se trouvait encore là où le chasseur l’avait laissée. Était-elle épuisée ? Était-elle encore vivante ? Le chasseur l’ignorait. Mais tout à coup elle poussa un gémissement qui trahit sa situation sans issue, et ce cri de désespoir fut l’envoi de Lauriston au camp de Koutouzow. Napoléon, convaincu comme toujours qu’il était impeccable, écrivit à Koutouzow, sous l’impulsion du moment :
    « Monsieur le prince Koutouzow, j’envoie près de vous un de mes aides de camp généraux pour vous entretenir de plusieurs objets intéressants. Je désire que votre Altesse ajoute foi à ce qu’il lui dira, surtout lorsqu’il exprimera les sentiments d’estime et de particulière considération que j’ai depuis longtemps pour sa personne. Cette lettre n’étant à autre fin, je prie Dieu, Monsieur le prince Koutouzow, qu’il vous ait en Sa sainte et digne garde.
    « Moscou, ce 30 octobre.
    « Signé : Napoléon. »
    « Je serais maudit par la postérité si l’on me regardait comme le premier moteur d’un accommodement quelconque. Tel est l’esprit actuel de ma nation {27} , » répondit Koutouzow, et il continua à faire tout ce qui dépendait de lui pour diriger la retraite de ses troupes.
    À la suite d’un mois de pillage par l’armée française et d’un temps équivalent de repos pour les troupes russes, un grand changement était survenu dans les forces des deux belligérants et dans l’esprit qui les animait : la balance penchait en faveur des Russes, et le besoin de prendre l’offensive se manifesta chez eux sur toute la ligne. Cette longue inaction avait éveillé l’impatience et la curiosité de savoir ce qu’étaient devenus les français, qu’on avait perdus de vue depuis tant de semaines. La hardiesse avec laquelle nos avant-postes s’en approchaient chaque jour, la nouvelle de légères victoires de partisans et de paysans sur l’ennemi, faisaient renaître l’envie et les sentiments de vengeance refoulés dans le cœur de chacun pendant le séjour de

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