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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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une légère fièvre qui donnait une grande lucidité à ses idées, il éprouva soudain un sentiment de bonheur ineffable.
    « Ah ! se dit-il, c’est elle qui est entrée ! »
    C’était en effet Natacha, qui venait, à pas de loup, occuper sa place habituelle à son chevet, et dont il devinait instinctivement l’approche.
    Assise de trois quarts dans un grand fauteuil, sa tête interceptait la lumière de la bougie ; elle tricotait assidûment un bas, depuis le jour où le prince André lui avait dit que personne ne soigne les malades comme les vieilles femmes qui tricotent. Ce mouvement monotone exerçait, disait-il, une action calmante sur les nerfs. Les doigts agiles de la jeune fille maniaient rapidement les longues aiguilles, et il contemplait avec attendrissement le profil pensif de son visage incliné. Tout à coup le peloton de laine lui échappa. Natacha tressaillit, jeta un regard à la dérobée sur le malade et, étendant la main devant la bougie pour le préserver de la lumière, elle se pencha vivement pour ramasser son peloton, et reprit sa première pose. Il la regarda sans faire un mouvement, et il vit sa poitrine se soulever et s’abaisser tour à tour, pendant qu’elle cherchait tout doucement à reprendre haleine. Les premiers jours de leur réunion, il lui avait avoué que, s’il revenait à la vie, il remercierait éternellement Dieu pour cette blessure qui les avait ainsi réconciliés ; mais depuis, il n’en avait plus reparlé.
    « Cela peut-il arriver maintenant ? pensait-il en prêtant l’oreille au léger bruit des aiguilles… Pourquoi la destinée nous a-t-elle réunis, si c’est pour me faire mourir ?… La vérité de la vie ne se serait-elle donc révélée à moi que pour me laisser dans le mensonge ? Je l’aime plus que tout au monde, et puis-je m’empêcher de l’aimer ? » se dit-il en poussant un profond gémissement, comme il en avait pris l’habitude pendant ses longues heures de souffrance. À cette plainte, Natacha posa son ouvrage sur la table, se pencha vers lui, et, voyant ses yeux brillants :
    « Vous ne dormez pas ? lui dit-elle.
    – Non, il y a longtemps que je vous regarde ; je vous ai sentie entrer. Personne comme vous ne me donne ce calme si doux… cette lumière !… J’aurais presque envie de pleurer de bonheur ! »
    Natacha se rapprocha encore plus près, et son visage s’illumina de joie et de passion.
    « Natacha, je vous aime trop, je vous aime plus que tout au monde.
    – Et moi… »
    Elle détourna la tête un instant.
    « Pourquoi donc trop ?
    – Pourquoi trop ?… Eh bien, dites-moi la vérité, dites-moi ce que vous sentez au fond du cœur… Vivrai-je ? Qu’en pensez-vous ?
    – J’en suis sûre, j’en suis sûre ! » s’écria Natacha en lui saisissant les deux mains avec une exaltation croissante.
    Il se tut.
    « Comme ce serait bien ! » dit-il en lui baisant la main.
    Natacha était heureuse ; mais, se rappelant aussitôt qu’une émotion trop vive pouvait lui être fatale :
    « Vous n’avez pas dormi, dit-elle en se maîtrisant… Il faut dormir, je vous en prie. »
    Il lui serra de nouveau la main, et elle reprit sa place. Deux fois elle se retourna, et, rencontrant chaque fois son regard, elle redoubla d’attention à son ouvrage, afin d’éviter de lever encore les yeux. Bientôt après il s’endormit.
    Son sommeil ne fut pas de longue durée. Une sueur froide le réveilla.
    Sa pensée recommençait à flotter entre la vie et la mort :
    « L’amour, qu’est-ce que l’amour ? se disait-il. L’amour est la négation de la mort, l’amour c’est la vie ; tout ce que je comprends, je ne le comprends que par l’amour. Tout est là !… L’amour c’est Dieu, et mourir c’est le retour d’une parcelle d’amour, qui est moi, à la source générale et éternelle. »
    Ces rêves lui semblaient consolants, mais ce n’étaient que des rêves qui passaient dans son cerveau sans y laisser l’ombre même de la réalité, et il se rendormit, encore en proie à mille idées confuses et agitées.
    Il se vit en songe couché dans la chambre qu’il habitait. Il avait recouvré toute sa santé. Une foule de personnes inconnues défilaient devant lui. Il causait et discutait avec elles de choses et d’autres, et se disposait à les suivre il ne savait où, tout en se disant qu’il perdait son temps à des bagatelles, lorsqu’il avait à s’occuper de bien plus graves intérêts ;

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