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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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C’est pour cela que « lui » l’a tant aimé, répondit la princesse Marie.
    – Oui, et cependant ils ne se ressemblaient guère. On assure du reste que les amitiés des hommes naissent des contrastes ; ce doit être sans doute ainsi… ! Adieu ! Adieu ! » dit Natacha, et le sourire espiègle qui avait accompagné ses premières paroles sembla s’effacer à regret de son visage redevenu joyeux.

XIX
    Pierre fut longtemps avant de s’endormir. Marchant à grands pas dans sa chambre d’un air soucieux, tantôt il haussait les épaules, tantôt il tressaillait, et ses lèvres s’entr’ouvraient comme pour murmurer un aveu. Lorsque six heures du matin sonnèrent, il pensait toujours au prince André, à Natacha, à leur amour, qui le rendait jaloux encore aujourd’hui. Il se coucha heureux et ému, et décidé à faire tout ce qui lui serait humainement possible pour l’épouser.
    Il avait fixé son départ pour Pétersbourg au vendredi suivant, et le lendemain Savélitch vint lui demander ses ordres au sujet du voyage.
    « Comment ? Je vais à Pétersbourg ? Pourquoi à Pétersbourg ? se demanda-t-il tout surpris. Ah oui ! c’est vrai, je l’avais décidé il y a longtemps déjà, avant que « cela » fût arrivé ; au fait, j’irai peut-être… Quelle bonne figure que celle du vieux Savélitch ! se dit-il en le regardant… Eh bien, Savélitch, tu ne veux donc pas de ta liberté ?
    – Qu’en ferais-je, Excellence ? Nous avons vécu du temps du vieux comte, le bon Dieu ait son âme !… et maintenant nous vivons auprès de vous, sans avoir à nous plaindre.
    – Et tes enfants ?
    – Et mes enfants feront comme moi, Excellence ; avec des maîtres comme vous, on n’a rien à craindre.
    – Eh bien, et mes héritiers ? demanda Pierre. Si je me mariais, par exemple ? Cela peut arriver, n’est-ce pas ? ajouta-t-il avec un sourire involontaire.
    – Ce serait très bien, si j’ose le dire à Votre Excellence.
    – Comme il traite cela légèrement, se dit Pierre. Il ne sait pas combien c’est grave et effrayant… C’est ou trop tôt ou trop tard !
    –Quels sont vos ordres, Excellence ? partirez-vous demain ?
    – Non, dans quelques jours, je t’en préviendrai. Pardonne-moi tout l’embarras que je te donne. C’est étrange, se dit-il, qu’il n’ait pas deviné que je n’ai rien à faire à Pétersbourg, et qu’avant tout il faut que « cela » se décide. Je suis sûr, du reste, qu’il le sait et qu’il fait semblant de l’ignorer… Lui en parlerai-je ? Non, ce sera pour une autre fois. »
    À déjeuner, Pierre raconta à sa cousine qu’il avait été la veille chez la princesse Marie, et qu’à sa grande surprise il y avait vu Natacha Rostow. La princesse Catherine parut trouver la chose toute simple.
    « La connaissez-vous ? lui demanda Pierre.
    – Je l’ai vue une fois, et l’on parlait de son mariage avec le jeune Rostow ; c’eût été très bien pour eux, puisqu’ils sont ruinés.
    – Ce n’est pas de la princesse Marie que je vous parle, mais de Natacha.
    – Ah oui ! je connais son histoire, c’est fort triste.
    – Décidément, se dit Pierre, elle ne me comprend pas, ou elle ne veut pas me comprendre… il vaut mieux ne lui rien dire. »
    Il alla dîner chez la princesse Marie. En parcourant les rues, où se voyaient encore les restes des maisons incendiées, il ne put s’empêcher de les admirer. Les hautes cheminées qui s’élançaient du milieu des décombres lui rappelaient les ruines poétiques des bords du Rhin et du Colysée. Les isvostchiks et les cavaliers, les charpentiers qui équarrissaient leurs poutres, les marchands, les boutiquiers, tous ceux qui le rencontraient, semblaient le regarder avec des visages rayonnants et se dire :
    « Ah ! le voilà revenu, voyons un peu ce qu’il va en advenir ! »
    En arrivant chez la princesse Marie, il lui sembla qu’il avait été le jouet d’un songe, qu’il avait vu Natacha en rêve ; mais, à peine fut-il entré, qu’il sentit, à la vibration de tout son être, l’influence de sa présence. Vêtue de noir, comme la veille, et coiffée de même, sa physionomie était pourtant tout autre et il l’aurait infailliblement reconnue la première fois si alors il l’avait vue ainsi : elle avait sa figure d’enfant, sa figure de fiancée. Ses yeux brillaient d’un éclat interrogateur, et une expression mutine et singulièrement affectueuse se jouait sur ses

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