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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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ennemi ! »
    Rapp ne répondit rien.
    « Demain nous aurons affaire à Koutouzow. C’est lui qui commandait à Braunau, vous en souvient-il ? et il n’est pas monté à cheval une seule fois pendant trois semaines pour examiner les fortifications… Nous verrons bien ! »
    Il regarda encore une fois à sa montre ; il n’était que quatre heures. Il se leva, fit quelques pas, passa une redingote sur son uniforme, et sortit de la tente. La nuit était sombre, et un léger brouillard flottait dans l’air. On distinguait à peine les feux de bivouac de la garde ; à travers la fumée, on entrevoyait dans le lointain ceux des avant-postes russes. Tout était calme ; on n’entendait que le bruit sourd et le piétinement des troupes françaises qui s’apprêtaient à aller occuper les positions désignées. Napoléon s’avança, examina les feux, prêta l’oreille au bruit toujours croissant, et, passant près d’un grenadier de haute taille, qui montait la garde devant sa tente et qui se tenait immobile et droit comme un pilier à l’apparition de l’Empereur, il s’arrêta devant lui.
    « Combien d’années de service ? lui demanda-t-il avec cette brusquerie affectueuse et militaire dont il faisait volontiers parade avec les soldats. – Ah ! un des vieux ! Et le riz ?… l’a-t-on reçu au régiment ?
    – Oui, Sire. »
    Napoléon fit un signe de tête et le quitta. À cinq heures et demie, il se dirigea à cheval vers le village de Schevardino ; l’aube blanchissait, le ciel s’éclaircissait de plus en plus, un seul nuage flottait à l’orient. Les feux abandonnés se mouraient à la pâle lumière du petit jour ; à droite retentit un coup de canon, sourd et solitaire, dont le son franchit l’espace et s’éteignit dans le silence général. Un second, un troisième ébranlèrent bientôt l’air, puis un quatrième et un cinquième résonnèrent avec solennité, quelque part à droite dans le voisinage. Ils retentissaient encore, que d’autres coups leur succédèrent aussitôt en se confondant. Napoléon atteignit, avec sa suite, Schevardino, et descendit de cheval : la partie était engagée.

XII
    Pierre, revenu de chez le prince André, à Gorky, ordonna à son domestique de tenir ses chevaux prêts pour le lendemain matin, de le réveiller à la pointe du jour ; puis il s’endormit aussitôt dans le coin que Boris lui avait obligeamment offert. À son réveil, l’isba était déserte, les petits carreaux des fenêtres tremblaient, et son domestique le secouait pour le réveiller.
    « Excellence, Excellence ! répétait-il avec insistance.
    – Quoi ?… Qu’y a-t-il ?… Est-ce commencé ?
    – Écoutez la canonnade, dit le domestique, qui était un ancien soldat ; tous sont partis depuis longtemps, même Son Altesse. »
    Pierre s’habilla à la hâte et sortit en courant. La matinée était belle, gaie, fraîche, la rosée brillait ; le soleil, déchirant le rideau de nuages, lança par-dessus le toit, à travers les vapeurs qui l’entouraient, un faisceau de rayons qui vinrent tomber sur la poussière de la route, humide de rosée, sur les murs des maisons, sur les clôtures en planches et sur les chevaux de Pierre, sellés à la porte de l’isba. Le grondement de la canonnade devint plus distinct. Un aide de camp passa au galop.
    « Dépêchez-vous, comte, il est temps ! » lui cria-t-il en passant.
    Se faisant suivre de son cheval, Pierre longea la route jusqu’au mamelon du haut duquel il avait examiné le champ de bataille. Cette colline était couverte de militaires : on y entendait le murmure des conversations en français des officiers de l’état-major, et l’on y voyait, se détachant de l’ensemble, la tête grise de Koutouzow, coiffée d’une casquette blanche avec une bande rouge ; sa grosse nuque s’enfonçait dans ses larges épaules. Il regardait au loin à l’aide d’une lunette d’approche. En gravissant la colline, Pierre fut frappé du spectacle qui s’offrit à ses yeux. C’était le panorama de la veille, mais occupé aujourd’hui par une masse imposante de troupes, envahi par la fumée de la fusillade, et éclairé par les rayons obliques du soleil, qui montait à la gauche de Pierre, projetant, dans l’air pur du matin, des chatoiements d’un rose doré, et étalant de côté et d’autre de longues et noires bandes d’ombre. Les grands bois qui fermaient l’horizon semblaient avoir été taillés dans une pierre

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