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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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étincelante, d’un jaune verdâtre, et derrière leurs cimes, qui se découpaient sur le ciel en une mince ligne foncée, se dessinait dans le lointain la grande route de Smolensk, couverte de troupes. À côté de la colline, les champs dorés et les coteaux ruisselaient de lumière, mais partout, devant, à gauche et à droite, on ne voyait que des soldats. C’était animé, majestueux et imprévu ; mais ce qui attira surtout l’attention de Pierre, ce fut l’aspect du champ de bataille lui-même, la vue de Borodino et de la vallée de la Kolotcha, qui s’étendait des deux côtés de la rivière.
    Au-dessus de la Kolotcha, à Borodino même, à l’endroit où la Voïna se jette dans la Kolotcha, à travers de vastes marais, s’élevait un de ces brouillards qui, en se fondant et en se vaporisant sous les rayons du soleil, donnent une couleur et un contour magiques au paysage qu’ils laissent entrevoir. Sur ce brouillard, sur la fumée qui s’y mêlait à flocons épais, sur l’eau, sur la rosée, sur les baïonnettes, sur Borodino même, se jouaient les rayons étincelants de la lumière du matin. À travers ce rideau transparent, on apercevait la blanche église, les toits des isbas du village, et de tous côtés des masses compactes de soldats, des caissons verts et des bouches à feu. Dans la vallée, sur les hauteurs, à mi-côte, dans les bois, dans les champs, partaient des coups de canon, tantôt isolés, tantôt par volées, suivis de tourbillons de fumée, qui s’arrondissaient, se rencontraient, et se confondaient dans l’espace. Chose étrange à dire, cette fumée et ces détonations étaient ce qui prêtait le plus de charme à ce spectacle. Pierre mourait d’envie de se trouver là où il voyait surgir ces panaches de fumée, là où s’agitaient ces baïonnettes brillantes, là où était le mouvement, et d’où partaient ces détonations incessantes. Il se retourna pour comparer son impression à celle que devaient éprouver dans ce moment Koutouzow et son entourage : il lui sembla voir rayonner sur tous les visages cette émotion latente qu’il avait déjà remarquée la veille, mais dont il n’avait compris la nature qu’après son entretien avec le prince André.
    « Va, mon ami, va, que Dieu soit avec toi, » dit Koutouzow à un général qui était à ses côtés.
    Le général qui venait de recevoir cet ordre passa devant Pierre pour descendre la colline.
    « Au pont ! » répondit-il à la question d’un des officiers.
    « Et moi aussi ! » se dit Pierre en le suivant. Le général monta le cheval que tenait un cosaque, pendant que Pierre s’approchait de son domestique et lui demandait laquelle de ses deux montures était la plus tranquille. L’empoignant alors par la crinière, penché en avant et serrant de ses talons le ventre de son cheval, il sentit tout à coup qu’il perdait ses lunettes ; mais, ne pouvant ni ne voulant lâcher la bride et la crinière, il partit sur les traces du général, au milieu des officiers qui le suivaient des yeux dans sa course aventureuse.

XIII
    Le général galopa en avant, descendit la colline, tourna brusquement à gauche, et Pierre, l’ayant perdu de vue, se fourvoya dans les rangs d’un détachement d’infanterie ; il essaya en vain de se dégager des soldats qui l’entouraient de tous côtés, et qui jetaient des regards mécontents et interrogateurs sur ce gros homme en chapeau blanc, qui les bousculait sans nécessité dans un moment aussi grave et aussi critique pour eux tous.
    « Pourquoi, diable, passer au milieu du bataillon ? » dit l’un d’eux.
    Un autre poussa le cheval avec la crosse de son fusil, et Pierre, se cramponnant au pommeau de la selle, et retenant à grand’peine sa monture effrayée, partit à fond de train et arriva enfin dans un espace libre. Il vit devant lui un pont où d’autres soldats tiraient des coups de fusil : sans s’en douter, il avait atteint le pont de la Kolotcha placé entre Gorky et Borodino, que les Français, après avoir occupé ce dernier village, venaient d’attaquer. Des deux côtés du pont et sur la prairie, couverte de foin, qu’il avait aperçue de loin la veille, des soldats s’agitaient d’un air affairé, mais, malgré la fusillade incessante, Pierre ne croyait guère être en plein premier acte de la bataille. N’entendant ni les balles qui sifflaient autour de lui, ni les projectiles qui passaient au-dessus de sa tête, il ne soupçonnait

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