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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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côté.
    – Tous à la fois et bien ensemble, répondirent gaiement ceux qui poussaient le canon.
    – Tiens, en voilà un qui a failli enlever le chapeau de « notre Bârine, » dit un loustic en s’adressant à Pierre. « Oh ! l’animal ! ajouta-t-il en voyant le boulet frapper une roue et la jambe d’un homme.
    – Eh ! vous autres, les renards ! criait une voix aux miliciens qui, venus pour ramasser les blessés, se courbaient et allongeaient l’échine… ce ragoût-là ne vous plaît pas ?
    – Voyez donc les corbeaux ! » dit un autre en s’adressant à un groupe de miliciens qui s’étaient arrêtés, saisis de terreur à la vue du soldat qui venait de perdre une jambe.
    Pierre remarquait qu’après chaque boulet tombé, après chaque homme jeté à bas, l’excitation générale augmentait. Ainsi qu’un défi jeté à la tempête déchaînée autour d’eux, les figures de ces soldats s’éclairaient de plus en plus, comme les éclairs qui jaillissent plus précipités d’une nuée d’orage. Pierre sentait que cette ardeur morale le gagnait à son tour. À dix heures, les fantassins, postés en avant de la batterie dans les broussailles et sur les bords de la petite rivière Kamenka, se replièrent ; on les voyait courir emportant leurs blessés sur des fusils. Un général parut en ce moment sur le tertre, échangea quelques mots avec un colonel, lança à Pierre un regard de mauvaise humeur, et descendit après avoir donné l’ordre aux fantassins préposés à la garde de la batterie de se coucher à plat ventre pour être moins exposés. On entendit ensuite un roulement de tambour dans les rangs de l’infanterie, qui s’ébranla à l’instant et se porta en avant. Les regards de Pierre furent attirés par la figure d’un jeune officier tout pâle, qui marchait à reculons, tenant son épée abaissée et regardant autour de lui avec inquiétude ; l’infanterie disparut dans la fumée, et l’on n’entendit plus que des cris prolongés et le crépitement d’une fusillade bien nourrie. Quelques minutes plus tard, des brancards chargés de blessés sortirent de la mêlée. Les projectiles tombaient dru comme grêle sur la batterie, et quelques hommes gisaient à terre. Les soldats redoublaient d’activité autour des canons, personne ne faisait plus attention à Pierre ; une ou deux fois, on lui cria brusquement de se ranger, et le vieil officier, les sourcils froncés, marchait à grands pas entre les pièces. Le petit lieutenant, les joues enflammées, donnait ses ordres avec plus de précision encore ; les artilleurs présentaient les gargousses, chargeaient, et faisaient leur devoir avec une crânerie de plus en plus surexcitée. Ils ne marchaient pas, ils sautaient comme lancés par des ressorts invisibles. La nuée d’orage s’était rapprochée. Sur toutes les figures brillait le feu, dont Pierre, debout à côté du vieil officier, attendait l’explosion ; le plus jeune, portant la main à la visière de sa casquette, s’approcha vivement de ce dernier.
    « J’ai l’honneur de vous prévenir qu’il n’y a plus que huit charges : faut-il continuer le feu ?
    – La mitraille ! » cria sans lui répondre directement son chef, en regardant au-dessus du retranchement, et soudain le petit lieutenant poussa un cri, tourna sur lui-même, et s’abattit comme un oiseau tiré au vol.
    Tout devint étrange, trouble et confus aux yeux de Pierre. Une pluie de boulets criblait le parapet, les soldats et les canons. Pierre, qui jusque-là n’y avait fait aucune attention, ne percevait plus d’autre bruit. À droite de la batterie, des soldats couraient en criant hourra ! et il crut les voir reculer au lieu de s’élancer en avant. Un boulet frappa le bord du rempart devant lequel il se tenait, et fit jaillir la terre : une balle noire rebondit et tomba au même instant dans un corps mou. À cette vue, les miliciens redescendirent rapidement.
    « À mitraille ! » répéta le vieux commandant.
    Un sous-officier, effrayé, se précipita vers lui et lui dit, avec un chuchotement sinistre, que les munitions manquaient. On aurait dit un maître d’hôtel venant prévenir son maître que le vin manque.
    « Brigands ! que font-ils ? s’écria l’officier en tournant vers Pierre sa figure rouge, ruisselante de sueur, et ses yeux qui brillaient de l’éclat de la fièvre.
    – Cours aux réserves, et amène un caisson ! ajouta-t-il avec colère en

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