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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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représentaient à elles seules une fortune, tant les moyens de transport étaient devenus rares, et plusieurs personnes vinrent en offrir au comte des sommes énormes. La cour de leur hôtel ne désemplissait pas de soldats envoyés par leurs officiers qui avaient été recueillis dans le voisinage, et de malheureux blessés qui demandaient en grâce au maître d’hôtel de prier le comte de leur permettre de profiter des charrettes pour quitter Moscou. Malgré la compassion qu’il éprouvait pour ces pauvres diables, le maître d’hôtel répondait invariablement à leurs prières par un refus catégorique : « Il n’oserait jamais, disait-il, importuner le comte de leur requête… et d’ailleurs, si on cédait une des charrettes, quelle raison y aurait-il pour ne pas les céder toutes, et même ses propres voitures ?… Ce n’était pas avec trente charrettes qu’on pouvait sauver tous les blessés, et dans le malheur général il était du devoir de chacun de penser aux siens avant tout ! » Pendant que le maître d’hôtel parlait ainsi au nom de son maître, celui-ci s’éveillait, quittait doucement sur la pointe des pieds la chambre à coucher conjugale, afin de ne pas déranger la comtesse, et gagnait le perron, où on le vit bientôt apparaître dans sa robe de chambre de soie violette. Il était de fort bonne heure : toutes les voitures étaient chargées et stationnaient devant l’entrée ; le maître d’hôtel causait avec un vieux domestique militaire et un jeune et pâle officier qui avait le bras en écharpe. À la vue du comte, Vassilitch leur intima d’un geste sévère l’ordre de s’éloigner.
    « Eh bien ! tout est-il prêt ? lui demanda le comte en passant la main sur son front chauve, et en saluant avec bienveillance l’officier et le planton.
    – Il ne reste plus qu’à atteler, Excellence.
    – C’est parfait ! La comtesse va se réveiller, et alors, avec l’aide de Dieu… Et vous, messieurs, ajouta le comte, qui aimait les nouvelles figures, vous êtes-vous au moins abrités chez moi ? »
    L’officier se rapprocha, et ses traits pâlis par la souffrance se colorèrent subitement.
    « Monsieur le comte, au nom du ciel, permettez-moi de me fourrer quelque part sur une de vos charrettes de bagages : je n’ai rien en fait d’effets, je m’en accommoderai très bien. »
    Il n’eut pas le temps d’achever sa phrase, que le vieux planton adressa au comte la même prière au nom de son maître.
    « Sans doute, sans doute, très volontiers ! répondit le comte… Vassilitch, tu veilleras, n’est-ce pas, à ce que l’on décharge une ou deux charrettes… On en a besoin, tu vois. » Et, sans s’expliquer plus clairement, il détourna vivement la tête d’un autre côté, pendant qu’une expression de vive reconnaissance illuminait le visage de l’officier.
    Le comte, ravi de sa bonne action, jeta un coup d’œil autour de lui : la cour se remplissait de blessés, il en venait de toutes parts à sa rencontre, et les fenêtres de l’aile gauche se garnissaient de figures blêmes qui le regardaient avec une anxiété douloureuse.
    « Plairait-il à Votre Excellence de passer dans la galerie ? dit le maître d’hôtel d’un air inquiet. On n’a encore rien décidé au sujet des tableaux ! »
    Le comte rentra chez lui, mais non sans avoir réitéré l’ordre de ne pas refuser aux blessés les moyens de partir.
    « Après tout, on peut bien décharger quelques caisses et les laisser ici, » dit le comte à voix basse, comme s’il craignait d’être entendu.
    La comtesse se réveilla à neuf heures, et Matrona Timofevna, son ex-femme de chambre, qui remplissait auprès d’elle les fonctions de chef de la police secrète, vint lui dire que Mme Schoss était très mécontente, et qu’on avait oublié d’emballer les robes d’été des demoiselles. La comtesse ayant demandé quel était le motif de la mauvaise humeur de Mme Schoss, on lui apprit que sa caisse avait été enlevée d’une des charrettes, qu’on était en train de décharger les autres, que les effets s’entassaient dans un coin de la cour, et que le comte avait dit d’emmener les blessés à leur place. Elle fit aussitôt demander son mari.
    « Que se passe-t-il donc, mon ami ? On m’assure que tu fais déballer ?
    – J’allais justement t’en prévenir, ma chère… C’est que, vois-tu, petite comtesse, des officiers sont venus me supplier de leur céder

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