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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Léon Tolstoï
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quelques charrettes pour les blessés. Ces objets-là nous sont bien inutiles, n’est-il pas vrai ?… et puis, comment abandonner ici, ces pauvres gens ? C’est nous qui leur avons offert l’hospitalité, et je pense, ma chère, que dès lors il serait bien… Pourquoi ne pas les emmener ? il n’y a pas du reste de raison de se dépêcher… »
    Le comte avait débité ces phrases sans suite d’une voix timide, comme lorsqu’il s’agissait de questions d’argent. La comtesse, habituée à ce ton, qui précédait toujours l’aveu de quelque grosse dépense, telle que la construction d’une galerie ou d’une orangerie, l’organisation d’une fête ou d’un spectacle d’amateurs, avait pris pour système de le contrecarrer toutes les fois qu’il prenait ce ton-là pour demander quelque chose. Elle prit donc son air de victime résignée et, s’adressant à son mari :
    « Écoute, comte, tu as si bien fait, qu’on ne te donne pas un kopeck de notre maison, et tu veux encore dilapider ce qui reste de la fortune de tes enfants ! Tu m’as dit toi-même que tout notre mobilier valait cent mille roubles ? Eh bien, mon cher, je ne tiens pas à l’abandonner ; tu feras comme tu voudras, mais je n’y consens pas. C’est au gouvernement à prendre soin des blessés. Regarde là-bas, en face, chez les Lopoukhine : on a tout emporté… c’est ainsi qu’agissent les gens raisonnables, et nous, nous sommes des imbéciles… De grâce, aie pitié de tes enfants si tu n’as pas pitié de moi ! »
    Le comte baissa la tête, et quitta la chambre d’un air désespéré.
    « Papa, qu’est-ce donc ? demanda Natacha, qui était entrée sur les talons du comte dans la chambre de sa mère, et qui avait tout entendu.
    – Ce n’est rien, cela ne te regarde pas, lui répondit son père.
    – Mais j’ai tout entendu, papa : pourquoi maman refuse-t-elle ?
    – Qu’est-ce que cela te fait ? » reprit le comte avec irritation.
    Natacha se retira dans l’embrasure de la fenêtre d’un air soucieux.
    « Papa, voilà Berg qui est arrivé. »

XVI
    Berg, le gendre des Rostow, aujourd’hui colonel et décoré du Saint-Vladimir et le Sainte-Anne au cou, occupait toujours la même place, commode et agréable, auprès du chef d’état-major du second corps. Il était arrivé de l’armée à Moscou le matin même du 1 er septembre, sans y avoir à faire rien de particulier. Mais, ayant remarqué que tout le monde demandait à y aller, il fit comme tout le monde et obtint un congé pour affaires de famille. Berg, assis dans son élégant droschki attelé d’une paire de chevaux bien nourris, pareils à ceux qu’il avait vus chez le prince X., descendit de sa voiture et examina avec curiosité les charrettes qui encombraient la cour de l’hôtel de son beau-père. En montant les degrés du perron, il tira de sa poche un mouchoir d’une blancheur immaculée et y fit un nœud. Puis, hâtant le pas, il se précipita dans le salon, se jeta au cou du vieux comte, baisa les mains à Natacha et à Sonia, et s’informa avec empressement de la santé de sa maman.
    « Qui pense à la santé en ce moment ? répondit le comte d’un air grognon. Raconte un peu ce qui se passe : où sont les troupes ? Y aura-t-il une bataille ?
    – Dieu seul peut le savoir, papa, répondit Berg. L’armée est animée d’un courage héroïque, et ses chefs se sont rassemblés en conseil ; la décision est encore inconnue. Je puis seulement vous dire, papa, en termes généraux, qu’il ne saurait y avoir de paroles assez éloquentes pour décrire la valeur véritablement antique dont les troupes russes ont fait preuve dans le combat du 7. Je vous dirai donc, papa, poursuivit-il en se frappant la poitrine comme il l’avait vu faire à un général de sa connaissance chaque fois qu’il parlait des « troupes russes »… je vous dirai donc franchement que, nous autres chefs, nous n’avons jamais été forcés de pousser nos soldats en avant, car c’est avec peine qu’on retenait ces… ces… Oui, papa, ce sont de vrais héros antiques ! ajouta-t-il rapidement. Le général Barclay de Tolly n’a pas ménagé sa vie, il était toujours au premier rang. Quant à notre corps, qui était placé sur le versant de la montagne, vous pouvez vous figurer… » Et là-dessus Berg entama un long récit, la compilation de tout ce qu’il avait entendu raconter pendant ces derniers jours.
    Le regard de Natacha, obstinément

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