La jeune fille à la perle
soldat se montra plus aimable,
mais il ne put me donner aucune nouvelle de ma famille. « Je pourrais me
renseigner, mais pas pour rien », dit-il avec un sourire tout en me
regardant des pieds à la tête afin que je comprenne bien qu’il ne s’agissait
pas d’argent.
« Vous devriez avoir honte
de chercher à tirer profit du malheur d’autrui », rétorquai-je.
Cela ne sembla pas le gêner le
moins du monde. J’avais oublié que, face à une jeune demoiselle, les soldats
n’ont qu’une chose en tête.
De retour à l’Oude Langendijck,
je fus soulagée de trouver la maison ouverte. Je m’y glissai et passai l’après-midi
cachée dans la cour avec mon livre de prières. Le soir, je me couchai sans
dîner, après avoir dit à Tanneke que j’avais mal au ventre.
*
Sitôt que j’arrivai à la
boucherie, Pieter fils me prit à part, tandis que son père s’occupait d’une
cliente. « Avez-vous des nouvelles de votre famille ? »
Je secouai la tête.
« Personne n’a pu m’en donner. » Mon regard ne rencontra pas le sien.
L’intérêt qu’il portait à ma famille me donna l’impression que je venais de
descendre d’un bateau et que le sol tremblait sous mes pieds.
« Je vais me renseigner
pour vous », déclara Pieter. À son ton de voix, il était clair que je ne
devais pas l’en dissuader.
« Merci »,
répondis-je au bout d’un long moment.
Je me demandais ce que je
ferais s’il apprenait quelque chose. Contrairement au soldat, il ne me
demandait rien, mais je resterais son obligée. Et je refusais d’être l’obligée
de qui que ce soit.
« Cela me prendra sans
doute plusieurs jours », murmura Pieter avant de tendre à son père un foie
de génisse. Il s’essuya les mains à son tablier. J’acquiesçai de la tête, les
yeux sur ses mains. Ses ongles étaient ourlés de sang.
Sans doute va-t-il falloir que
je m’habitue à voir ça, pensai-je.
Je commençai à attendre les
courses quotidiennes avec plus d’impatience encore que le ménage de l’atelier.
Je les appréhendais aussi, redoutant par-dessus tout cet instant où Pieter fils
levait la tête et m’apercevait. Je sondais alors son regard en quête d’indices,
désireuse de savoir, même si, en l’absence de nouvelles, tout espoir était
encore permis.
Plusieurs jours s’écoulèrent.
Il se contentait de secouer la tête quand je venais acheter la viande ou
passais près de son étal en me rendant chez le poissonnier. Jusqu’à ce jour où
il m’aperçut et détourna son regard. Je sus aussitôt ce qu’il allait me dire.
Mais je ne savais pas qui c’était.
Il me fallut attendre qu’il
finisse de servir des clientes. Je me sentais si mal que j’aurais voulu
m’asseoir, mais le sol était tout taché de sang.
Pieter fils enleva enfin son
tablier et vint me trouver.
« Il s’agit de votre soeur
Agnès, me dit-il avec douceur. Elle est très malade.
— Et mes parents ?
— Jusqu’ici, ils vont
bien. »
Je ne lui demandai pas quels
risques il avait encourus pour se renseigner. « Merci, Pieter »,
murmurai-je. C’était la première fois que je l’appelais par son nom.
Je regardai dans ses yeux, j’y
vis de la bienveillance. J’y vis aussi ce que je redoutais, certaine attente…
*
Le dimanche suivant, je décidai
d’aller trouver mon frère. J’ignorais ce qu’il savait de la quarantaine ou du
danger que courait Agnès. Je quittai la maison de bonne heure et me rendis à
pied à la faïencerie, située hors des murs de la ville, non loin de la porte de
Rotterdam. Lorsque j’arrivai, Frans dormait encore. La femme qui gardait
l’entrée se mit à rire quand je demandai à le voir. « Croyez-moi, il ne va pas se réveiller de sitôt ! dit- elle.
Ils dorment tout leur dimanche, les apprentis, c’est leur jour de congé. »
Je n’appréciai ni son ton de
voix ni ce qu’elle dit. « Ayez la gentillesse de le réveiller et dites-lui
que sa soeur est ici », insistai je. À m’entendre, on aurait presque pu me
prendre pour Catharina.
La femme fronça les sourcils.
« J’savais pas que Frans venait d’une famille où on s’mouchait pas du
coude ! » Là-dessus, elle disparut et je me demandai si elle se
donnerait seulement la peine de réveiller Frans. Je m’assis sur un petit mur
pour l’attendre. Une famille passa, ils se rendaient à l’église. Les enfants,
deux garçons et deux filles, couraient devant leurs parents, comme nous
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