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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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plutôt le
tableau que vous voulez regarder ! »
    Je revins m’asseoir sur le banc
auprès de Tanneke qui ne voulut pas m’adresser la parole. Nous restâmes là en
silence, à raccommoder les manchettes, écoutant les voix qui s’échappaient par
les fenêtres au-dessus de nos têtes.
    Quand ils redescendirent, je
m’esquivai jusqu’au coin de la rue et là, plaquée contre les briques tièdes
d’un mur de Molenpoort, j’attendis leur départ.
    Un de leurs domestiques arriva
plus tard, il monta à l’atelier. Je ne le vis pas repartir car les filles, qui
étaient de retour, voulurent que j’allume le feu pour y rôtir des pommes.
    Le lendemain matin, le tableau
était parti. Je n’avais pas pu le revoir une dernière fois.
     
    *
     
    En arrivant au marché à la
viande ce matin-là, j’entendis un homme dire que la quarantaine avait été
levée. Je me hâtai jusqu’à l’étal de Pieter. Père et fils étaient là, les
clientes faisaient la queue. Feignant de ne pas les voir, j’allai droit vers
Pieter fils. « Pourriez-vous me servir très vite ? dis-je. Je dois me
rendre chez mes parents. Juste trois livres de langue et trois livres de
saucisses. »
    Il laissa là ce qu’il faisait,
ignorant les protestations de la vieille femme qu’il servait. « Si j’étais
jeune et si j’avais un beau sourire, je suis bien sûre que vous feriez
n’importe quoi pour moi aussi », grommela-t-elle tandis qu’il me tendait
mes achats.
    « Elle ne sourit
pas », rectifia Pieter. Il lança un coup d’oeil à son père puis il me donna
un plus petit paquet. « Pour votre famille », précisa-t-il à voix
basse.
    Je saisis le paquet et partis
en courant sans même le remercier.
    Il n’y a que les enfants et les
voleurs qui partent en courant…
    Je courus jusque chez nous.
    Mes parents étaient assis sur
le banc, l’un près de l’autre, la tête baissée. Sitôt arrivée, je pris la main
de mon père et la portai contre mes joues humides, puis je m’assis avec eux
sans rien dire.
    Car il n’y avait rien à dire.
     
    *
     
    Suivit un temps où tout sembla
dépourvu d’intérêt. La propreté du linge, la promenade quotidienne au marché,
le calme de l’atelier, bref, tout ce qui avait compté pour moi perdait soudain
de l’importance tout en étant toujours là, comme ces meurtrissures qui
disparaissent en laissant de petites bosses sous la peau.
    Ma soeur mourut à la fin de
l’été. L’automne fut pluvieux. Je passai beaucoup de temps à étendre le linge
sur des séchoirs à l’intérieur de la maison, à les rapprocher du feu, afin
d’éviter que les vêtements ne se couvrent de moisissures, en veillant toutefois
à ne pas les brûler.
    En apprenant la mort d’Agnès,
Tanneke et Maria Thins me traitèrent avec une relative gentillesse. Pendant
plusieurs jours, Tanneke refréna ses mouvements d’impatience, mais elle
recommença vite à me réprimander et à me faire la tête, me laissant le soin de
l’apaiser. Maria Thins ne disait pas grand-chose, mais elle interrompait
Catharina sitôt que celle-ci me parlait d’un ton cassant.
    Quant à Catharina, elle
semblait ne rien savoir de ce qui était arrivé à ma soeur ou, du moins, elle
n’en montrait rien. La date de l’accouchement approchait. Comme l’avait dit
Tanneke, elle passait au lit la plupart de son temps, confiant le jeune
Johannes à Maertge. Il commençait à trotter partout, ne laissant guère de répit
à ses soeurs.
    Les filles ignoraient que
j’avais une soeur, aussi n’auraient-elles pas compris que je puisse en perdre
une. Seule Aleydis semblait sentir que quelque chose n’allait pas. Elle
s’asseyait parfois tout contre moi comme le jeune chien se réfugie contre la
fourrure de sa mère pour avoir chaud. Dans sa simplicité, elle me réconfortait
mieux que personne.
    Un jour, Cornelia vint me
trouver dans la cour alors que je pendais le linge. Elle me tendit une de ses
vieilles poupées. « Nous ne nous amusons plus avec ça, déclara-t-elle.
Même Aleydis. Aimeriez-vous la donner à votre soeur ? » À la voir
jouer de ses grands yeux innocents, je compris qu’elle devait avoir entendu
parler de la mort d’Agnès.
    « Non, merci », fut
tout ce que je pus répondre d’une voix étranglée.
    Elle sourit et s’éloigna en
gambadant.
    L’atelier demeurait vide. Il
n’entreprenait pas de nouveau tableau. Il passait la plupart de son temps soit
à la Guilde, soit à Mechelen, l’auberge de sa

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