La jeune fille à la perle
qu’il ne
l’apprécierait guère. Même s’il ne me l’avait jamais dit, il était clair qu’il
était jaloux de mon maître.
Pieter fils n’était pas à
l’étal. Je n’eus pas à attendre longtemps avant que Pieter père fasse allusion
à ces bavardages. « Qu’est-ce que j’apprends ? lança-t-il avec un petit
sourire narquois en me voyant approcher. Alors, on va peindre ton
portrait ? D’ici peu tu seras trop grande dame pour mon fils et ses
semblables. Il est parti en boudant au marché aux bestiaux à cause de toi.
— Racontez-moi ce que vous
avez entendu à mon sujet.
— Oh ! Mademoiselle
veut qu’on le lui raconte une fois de plus ? » Il éleva la voix.
« Devrais-je tourner cela en un joli conte pour faire la joie de quelques
autres ?
— Chut ! »
murmurai-je. Sous son air bravache, je sentis qu’il était en colère.
« Dites-moi juste ce que vous avez entendu. »
Il baissa la voix :
« Que la cuisinière de Van Ruijven prétend que tu vas poser pour un
tableau en compagnie de son maître.
— Je ne sais rien de tout
cela », déclarai-je avec fermeté, consciente que ces mots n’auraient pas
plus d’effet sur lui qu’ils n’en avaient eu sur ma mère. Pieter père saisit une
poignée de rognons.
« Ce n’est pas à moi qu’il
faut expliquer cela », reprit-il en les soupesant.
J’attendis quelques jours avant
de m’en ouvrir à Maria Thins, curieuse de voir d’abord si quelqu’un m’en
parlerait. J’allai la trouver un après-midi dans la salle de la Crucifixion.
Catharina faisait la sieste et Maertge avait emmené ses soeurs au marché aux
bestiaux. Tanneke était à la cuisine, elle surveillait Johannes et Franciscus,
tout en cousant. « Puis-je vous parler, Madame ? dis-je à mi-voix.
— Que se passe-t-il, ma
fille ? » Elle alluma sa pipe, m’observant à travers la fumée.
« Encore des problèmes ? » Elle semblait lasse.
« Je ne sais pas, Madame,
mais j’ai entendu raconter quelque chose d’étrange.
— Oh ! nous en
entendons tous un jour ou l’autre !
— J’ai entendu dire que…
que j’allais figurer dans un tableau, avec Van Ruijven. »
Maria Thins partit d’un petit
rire. « Voilà certes une bien étrange nouvelle ! Les langues vont bon
train au marché, pas vrai ? »
J’acquiesçai d’un signe de
tête.
Elle se rassit dans son
fauteuil et tira sur sa pipe. « Et toi, dis-moi, que penserais-tu de
figurer dans un tableau de ce genre ? »
Je ne sus que répondre.
« Ce que j’en penserais, Madame ? répétai-je, abasourdie.
— Je ne perdrais pas mon
temps à poser la question à certaines personnes. Regarde Tanneke, par exemple.
Quand il a fait son portrait, elle a posé béatement, versant du lait pendant
des mois, sans laisser une pensée entrer dans cette tête, Dieu la
bénisse ! Mais toi… Les pensées fourmillent dans ta tête, mais tu les
gardes pour toi. J’aimerais bien les connaître. »
Je répondis la seule chose
sensée qu’elle pût comprendre. « Je ne souhaite pas poser en compagnie de
Van Ruijven, Madame. Je ne crois pas que ses intentions soient
honorables. » Un verdict glacial.
« Ses intentions ne sont
jamais honorables lorsqu’il s’agit déjeunes femmes. »
Je m’essuyai fébrilement les
mains à mon tablier.
« Il semblerait que tu
aies un champion prêt à défendre ton honneur, poursuivit-elle. Mon gendre
paraît plus disposé à te peindre avec Van Ruijven que tu ne l’es, toi, à poser
avec ce dernier. »
Je ne tentai pas de cacher mon
soulagement.
« Toutefois, me prévint
Maria Thins, Van Ruijven est son client et, qui plus est, il est riche et
puissant, aussi ne pouvons-nous nous permettre de le désobliger.
— Que lui direz-vous,
Madame ?
— J’y réfléchirai. En
attendant, tu seras en butte aux racontars. N’y réponds pas, il ne faut surtout
pas que Van Ruijven apprenne par ces commérages de marché que tu refuses de
poser en sa compagnie. »
Je devais avoir l’air mal à
l’aise. « Ne t’inquiète pas, ma fille, grommela Maria Thins en tapotant sa
pipe sur la table pour en faire tomber les cendres. Nous en faisons notre
affaire. De ton côté, sois discrète et fais ton travail, et pas un mot de cela
à qui que ce soit.
— Oui, Madame. »
J’en parlai pourtant à une
personne, sentant qu’il le fallait.
Il m’avait été assez aisé
d’éviter Pieter fils. Il y avait, en effet, cette semaine-là, des ventes
Weitere Kostenlose Bücher