La jeune fille à la perle
secoua la tête comme pour chasser une mouche importune.
C’est moi qui le vis
différemment, je me sentis son obligée. Je savais que s’il me demandait quoi
que ce soit, je ne pourrais refuser. Je ne voyais pas ce qu’il pourrait me
demander que je veuille lui refuser mais, néanmoins, je n’aimais pas la
situation dans laquelle je me retrouvais.
Il m’avait également déçue,
mais je n’aimais pas revenir là-dessus. J’aurais préféré qu’il dît lui-même à
Catharina que je l’aidais, montrant ainsi qu’il n’avait pas peur de le lui
avouer, qu’il me soutenait.
Voilà ce que j’aurais voulu.
*
Un après-midi vers la
mi-octobre, Maria Thins monta le trouver dans son atelier. Le portrait de
l’épouse de Van Ruijven était presque achevé. Elle devait savoir que j’étais en
train de travailler au grenier et que je pouvais l’entendre, mais elle lui
parla ouvertement.
Elle lui demanda ce qu’il
prévoyait de peindre après ce tableau. Voyant qu’il ne répondait pas, elle
reprit : « Il faut que vous peigniez un plus grand tableau mettant en
scène davantage de personnages, comme vous en peigniez autrefois. Pas une autre
femme perdue dans ses pensées. Le jour où Van Ruijven viendra voir son tableau,
vous devriez lui en suggérer un autre. Peut-être un dont le sujet fasse pendant
à quelque chose que vous avez déjà peint pour lui. Il sera d’accord, comme
d’habitude. Et il payera davantage pour celui-là. »
Il ne réagissait toujours pas.
« Nous nous enfonçons dans
les dettes, attaqua Maria Thins. Il nous faut cet argent.
— Il peut demander que son
épouse figure dans le tableau », dit-il. Sa voix était basse mais je pus
saisir ses paroles, même si je ne compris que plus tard ce qu’il entendait par
là.
« Et alors ?
— Non, pas ça.
— Nous nous inquiéterons
de cela le moment venu, pas avant. »
Quelques jours plus tard, Van
Ruijven et son épouse vinrent voir le tableau achevé. Dans la matinée, mon
maître et moi préparâmes la pièce en vue de leur visite. Il rapporta à
Catharina les perles et les bijoux, me laissant le soin de ranger le reste et sortir
les chaises. Il déplaça ensuite le chevalet et le tableau, les mettant là où se
trouvait le décor, et me pria d’ouvrir tous les volets.
Ce matin-là, j’aidai Tanneke à
préparer un repas en leur honneur. Je ne pensais pas que je les verrais. À
midi, quand ils arrivèrent, ce fut Tanneke qui monta porter le vin à l’atelier
où ils étaient réunis. Une fois redescendue, elle annonça que c’était moi qui
l’aiderais à servir le repas, Maertge étant d’âge à prendre place à leur table.
« Ma maîtresse a décidé
ça », précisa Tanneke.
Cela me surprit car, la
dernière fois qu’ils étaient venus voir leur tableau, Maria Thins s’était
efforcée de me tenir à distance de Van Ruijven. Toutefois, je me gardai d’en
souffler mot à Tanneke. « Van Leeuwenhoek est-il là lui aussi ?
préférai-je demander. Il me semble avoir entendu sa voix dans le
couloir. »
Tanneke hocha la tête, l’air
absent. Elle goûtait le faisan en train de rôtir. « Pas mauvais,
murmura-t-elle, je peux aller la tête aussi haute que n’importe quelle
cuisinière de chez Van Ruijven. »
Pendant qu’elle était à
l’atelier, j’avais arrosé le faisan de sauce et l’avais généreusement salé, car
Tanneke lésinait sur le sel.
Quand ils furent passés à
table, Tanneke et moi commençâmes à apporter les plats. Catharina me regarda,
furieuse. Peu habile à cacher ses pensées, elle était horrifiée de me voir
servir.
Mon maître n’en croyait pas ses
yeux. Il lança un regard glacial à Maria Thins qui feignit l’indifférence
derrière son verre de vin.
Toutefois, Van Ruijven arborait
un grand sourire. « Ah ! voici la servante aux grands yeux !
s’exclama-t-il. Je me demandais où tu étais passée. Comment vas-tu, ma
fille ?
— Très bien, Monsieur,
merci », murmurai-je, en posant une tranche de faisan sur son assiette et
en m’éloignant aussi vite que possible, pas assez cependant puisqu’il se
débrouilla pour passer la main le long de ma cuisse. Je la sentais encore
quelques minutes plus tard.
Si l’épouse de Van Ruijven et
Maertge ne s’aperçurent de rien, Van Leeuwenhoek, lui, remarqua tout, la rage de
Catharina, l’agacement de mon maître, le haussement d’épaules de Maria Thins,
la main baladeuse de Van Ruijven. Quand je le
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