La jeune fille à la perle
miroir, j’essayai à nouveau de
m’en faire une coiffure. Je nouai le tissu bleu sur mon front, puis j’enroulai
le jaune plusieurs fois autour de mon crâne, jusqu’à ce que celui-ci soit
entièrement couvert. Je rentrai l’extrémité sur le côté, j’arrangeai quelques
plis, lissai la bande bleue sur mon front et retournai dans l’atelier.
Il était en train de lire,
aussi ne me vit-il pas me rasseoir. Je repris la même pose. Au moment où je
tournai la tête pour regarder par-dessus mon épaule gauche, il leva les yeux.
Au même instant, l’extrémité du tissu jaune se défit et tomba sur mon épaule.
« Oh ! »
murmurai-je, craignant que l’étoffe en glissant ne laissât voir mes cheveux.
Elle resta en place. Seule l’extrémité
de l’étoffe jaune pendait. Mes cheveux restèrent cachés.
« Bien, dit-il alors.
C’est parfait, Griet. Parfait. »
*
Il refusa de me montrer le
tableau. Il le posa sur un autre chevalet, de biais par rapport à la porte, et
m’interdit de le regarder. Je promis de lui obéir, mais certains soirs, couchée
dans mon lit, j’avais envie de m’envelopper d’une couverture et d’aller en
cachette y jeter un coup d’oeil. Il n’en saurait rien.
Mais il devinerait. Il ne
pouvait me regarder, assise là jour après jour, sans deviner que je lui avais
désobéi. Je ne pouvais, ni ne voulais, lui cacher quoi que ce fût.
Je redoutais aussi de découvrir
la façon dont il me voyait. Mieux valait que cela reste un mystère.
Les pigments qu’il me demanda
de mélanger ne me fournirent aucun indice. Noir, ocre, blanc de céruse, jaune
de Naples, outremer, laque rouge, j’avais déjà préparé ces couleurs à d’autres
occasions. Il aurait aussi bien pu les utiliser pour le tableau du concert.
Il travaillait rarement à deux
toiles en même temps. Il n’aimait pas passer de l’une à l’autre, mais cela lui
permettait cette fois de cacher plus aisément qu’il faisait mon portrait. Peu
de gens le savaient. Van Ruijven était de ceux-là. C’était, bien sûr, à sa
demande que mon maître avait entrepris ce tableau. Mon maître avait dû accepter
que j’y figure seule pour ne pas avoir à me représenter en compagnie de Van
Ruijven. Ce dernier posséderait donc mon portrait.
Cette idée me déplaisait. Tout
comme elle devait, je pense, déplaire à mon maître.
Maria Thins connaissait elle
aussi l’existence de ce tableau dont elle avait sans doute négocié les
conditions avec Van Ruijven. Allant et venant à sa guise dans l’atelier, elle
pouvait regarder mon portrait tout à loisir, privilège qui m’était refusé. Parfois,
elle me lorgnait du coin de l’oeil avec une expression bizarre qu’elle ne
parvenait pas à dissimuler.
Je soupçonnai Cornelia de
connaître elle aussi l’existence de ce tableau. Un jour, je la surpris à un
endroit où elle n’avait rien à faire : dans l’escalier menant à l’atelier.
Je lui demandai pourquoi elle se trouvait là, elle refusa de me répondre.
Plutôt que de la traîner chez Maria Thins ou Catharina, je la laissai partir.
Je préférai ne pas provoquer d’incident, surtout pendant qu’il travaillait à mon
portrait.
Van Leeuwenhoek en avait été
informé. Un jour, il apporta sa chambre noire, qu’il installa de manière qu’ils
puissent tous deux me regarder. Il ne sembla pas surpris de me voir assise sur
ma chaise. Mon maître devait l’avoir prévenu. Il regarda mon étrange coiffure,
mais ne se livra à aucun commentaire.
Ils se servirent de l’appareil
à tour de rôle. J’avais appris à rester assise sans bouger ni penser, sans me
laisser distraire par le regard de mon maître. Cela m’était plus difficile avec
cette boîte noire braquée sur moi. Pas d’yeux, de visage ou de corps tourné
vers moi, seulement une boîte et une robe noire drapant un dos bossu. Je me
sentais mal à l’aise. Je ne savais plus au juste de quelle façon ils me
regardaient.
Il me fallait toutefois reconnaître
que c’était flatteur d’être examinée ainsi par deux messieurs, même si je ne
voyais pas leurs visages.
Mon maître quitta la pièce pour
aller chercher un morceau de chiffon assez doux pour nettoyer la lentille. Dès
qu’il eut entendu le pas de son ami dans l’escalier, Van Leeuwenhoek me dit à
voix basse :
« Prenez garde, ma chère.
— Que voulez-vous dire,
Monsieur ?
— Vous n’êtes pas sans
savoir qu’il peint votre portrait pour satisfaire Van
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