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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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choses. Le genre de
choses que fait une servante.
    — Lesquelles, par
exemple ? » demanda-t-il en levant les sourcils, les bras croisés.
    Je dus attendre que ma mâchoire
cesse de trembler avant de pouvoir répondre. Nous revoyant, Pieter et moi,
serrés l’un contre l’autre dans la ruelle, ma gorge se serra.
    « Eh bien, coudre.
Balayer, passer la serpillière. Aller chercher de l’eau. Laver les draps.
Couper le pain. Faire les vitres.
    — Vous aimeriez que je
vous représente avec votre balai ?
    — Comment vous répondre,
Monsieur ? Ce n’est pas mon tableau. »
    Il fronça les sourcils.
    « Non, ce n’est pas le
vôtre. »
    On aurait dit qu’il se parlait
à lui-même.
    « Non, je n’aimerais pas
que vous me peigniez avec mon balai, dis-je, surprise par mes propres paroles.
    — Vous avez bien raison,
Griet. Je ne vous peindrais pas un balai à la main !
    — Mais je ne peux pas
porter les vêtements de votre épouse. »
    Il y eut un long silence.
    « Non, c’est vrai, dit-il,
mais je refuse de vous représenter en servante.
    — Comment alors
voulez-vous me représenter, Monsieur ?
    — Telle que je vous ai vue
la première fois, Griet. Seule. »
    Il approcha une chaise du
chevalet, face à la fenêtre du milieu. Je m’assis. Je savais que ce serait là
ma place. Il allait retrouver la pose qu’il m’avait demandé de prendre un mois
plus tôt, quand il avait décidé que je lui servirais de modèle.
    « Regardez par la
fenêtre », dit-il.
    Je contemplai au-dehors la
grisaille hivernale et, me souvenant du jour où j’avais remplacé la fille du
boulanger, j’essayai de ne rien voir pour apaiser mon esprit. Voilà qui était
difficile car je ne pouvais m’empêcher de penser à mon maître et à moi, assise
en face de lui.
    La cloche de la Nouvelle-Église
sonna deux coups.
    « Maintenant tournez
lentement la tête vers moi. Non, pas les épaules ! Juste la tête.
Doucement. Ça y est ! Un tout petit peu plus pour que… Ça y est ! Ne
bougez plus. »
    J’obéis.
    Il me fut d’abord impossible de
croiser son regard, car j’avais l’impression d’être assise près d’un feu qui
soudain s’embrase. Au lieu de cela, je fixais son menton décidé, ses lèvres
minces.
    « Voyons, Griet, vous ne
me regardez pas. »
    Je m’efforçai de lever mes yeux
vers les siens. À nouveau, je ressentis comme une brûlure, mais je supportai en
silence l’épreuve qu’il m’imposait.
    Bientôt, j’eus moins de mal à
le regarder dans les yeux. Il me regardait comme s’il ne me voyait pas, comme
s’il voyait quelqu’un ou quelque chose d’autre. Comme s’il regardait un
tableau.
    Il étudie la lumière sur mon
visage et non pas mon visage lui-même, me dis-je. Voilà toute la différence.
    J’aurais presque pu ne pas être
là. Une fois que j’en eus pris conscience, je fus capable de me détendre un
peu. Puisqu’il ne me voyait pas, je ne le voyais pas moi non plus. Ma pensée se
mit à vagabonder. Je songeai au civet de lièvre que nous avions mangé au
déjeuner, au col de dentelle que Lisbeth m’avait donné, à une histoire que
Pieter fils m’avait racontée la veille. Puis, je ne pensai plus à rien. Mon
maître se leva deux fois pour modifier la position de l’un des volets. À
plusieurs reprises, il alla chercher divers pinceaux et couleurs dans son
placard. J’observais ses mouvements comme si, de la rue, je regardais à travers
la fenêtre ce qui se déroulait dans la pièce.
    La cloche de l’église sonna
trois coups. Je battis des paupières, surprise qu’une heure eût déjà passé.
J’avais l’impression d’être envoûtée.
    Je le
regardai, il avait les yeux rivés sur moi. Il me regardait. Alors que nous nous
dévisagions, une onde de chaleur me traversa le corps. Je n’en continuai pas
moins à soutenir son regard. Enfin, il se détourna et s’éclaircit la voix.
    « Ça
suffira pour aujourd’hui, Griet. J’ai mis quelques os au grenier, je vous
demande de les broyer. »
    J’acquiesçai
de la tête et m’esquivai, le coeur battant. Il peignait mon portrait.
     
    *
     
    « Poussez votre coiffe en
arrière, pour dégager votre visage, me dit-il un jour.
    — En arrière, pour dégager
mon visage ? » répétai-je niaisement. Je regrettai aussitôt.
    Il préférait que j’obéisse en
silence. Ou, si je parlais, que cela en valût vraiment la peine.
    Il ne répondit pas. J’écartai
de ma joue le bord de ma coiffe qui était

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