La jeune fille à la perle
êtes,
déclara Franciscus.
— Cela m’étonnerait que
vous vous souveniez de moi, la dernière fois que je vous ai vu, vous n’étiez
qu’un bébé. »
Il ne prêta pas attention à ma
remarque, il suivait son idée : « Vous êtes la dame du
tableau. »
J’ouvris de grands yeux,
Franciscus eut un sourire triomphant. « Oui, c’est vous, même si sur le
tableau vous ne portez pas de coiffe mais un turban bleu et jaune.
— Où-est-ce
tableau ? »
Ma question parut l’étonner.
« Chez la fille de Van Ruijven, bien sûr. Il est mort l’an dernier, vous
savez. »
J’avais appris la nouvelle au
marché non sans certain soulagement secret, même si Van Ruijven m’avait laissée
tranquille après mon départ. Je craignais toujours de le voir apparaître avec
son sourire mielleux et ses mains baladeuses. « Comment avez-vous vu le
tableau, s’il est chez Van Ruijven ?
— Papa lui avait demandé
de le lui prêter quelque temps, expliqua Franciscus. Le lendemain de la mort de
papa, maman l’a fait rapporter à la fille de Van Ruijven. »
Les mains tremblantes, je
rajustai ma mante.
« Il avait souhaité revoir
le tableau ? réussis-je à demander d’une toute petite voix.
— Oui, ma fille. »
Maria Thins venait d’arriver, elle se tenait sur le seuil. « Je puis te
dire que cela n’a pas arrangé les choses ! Mais il était dans un tel état
que nous n’avons pas osé le lui refuser, pas même Catharina. » Elle
n’avait pas changé. Elle ne vieillirait jamais. Un jour elle s’endormi rait et
ne se réveillerait pas.
J’acquiesçai d’un signe de
tête. « Je partage votre chagrin et vos soucis, Madame.
— Oui, reconnaissons que la
vie est pure folie.
Pour peu que l’on vive assez
longtemps, plus rien ne vous étonne. »
Ne sachant comment réagir à ce
genre de propos, je me contentai de dire : « Vous désiriez me voir,
Madame ?
— Non, c’est Catharina qui
veut te voir.
— Catharina ? »
Ma voix trahit ma surprise. Maria Thins eut un sourire aigre-doux. « Tu ne
sauras donc jamais garder pour toi ce que tu penses, ma fille ?
Qu’importe, je suis sûre que tu t’entends bien avec ton boucher de mari, s’il
n’exige pas trop de toi. »
J’ouvris la bouche pour
répondre, mais la refermai aussitôt.
« C’est bien. Tu apprends.
Catharina et Van Leeuwenhoek sont dans la grande salle. Il est l’exécuteur
testamentaire, vois-tu. »
À vrai dire, je ne voyais rien…
je voulus lui demander ce qu’elle entendait par là et la raison de la présence
de Van Leeuwenhoek, mais je n’osai pas. « Oui, Madame », me
contentai-je de répondre.
Maria Thins partit d’un petit
rire sarcastique. « Jamais nous n’avons eu autant d’ennuis avec une
servante ! » marmonna-t-elle, secouant la tête avant de disparaître
dans la maison.
Je pénétrai dans l’antichambre.
Il y avait encore des tableaux aux murs. J’en reconnus certains, d’autres pas.
Je m’attendais plus ou moins à me retrouver parmi les natures mortes et les
marines, mais, bien sûr, je n’y étais pas.
Je jetai un coup d’oeil du côté
de l’escalier menant à son atelier et m’arrêtai, mon coeur se serra. Me
retrouver dans cette maison, avec son atelier au-dessus de ma tête, c’en était
trop pour moi, même si je savais qu’il n’était pas là. Toutes ces années, je
m’étais efforcée de ne pas repenser aux heures passées à broyer les couleurs
auprès de lui, assise près de la fenêtre, le regardant me regarder. Pour la
première fois en deux mois, je prenais pleinement conscience qu’il était mort.
Qu’il était mort et jamais plus ne peindrait. Il n’avait pas laissé beaucoup de
tableaux. Il n’avait jamais peint aussi vite que l’auraient souhaité Maria
Thins et Catharina…
Une jeune fille qui était dans
la salle de la Crucifixion passa la tête dans l’antichambre. Je respirai à fond
et avançai jusqu’à elle. Cornelia avait à peu près l’âge auquel j’avais été
placée comme servante. Au cours de ces dix années, ses cheveux roux avaient
foncé, ils étaient coiffés avec simplicité, sans rubans ni nattes. Avec le temps,
je la trouvais moins menaçante. À vrai dire, elle me fit presque pitié. Son
visage reflétait une perfidie peu seyante à une fille de son âge.
Je me demandai ce qu’il
adviendrait d’elle, ce qu’il adviendrait d’eux tous. Tanneke avait beau être
persuadée que sa maîtresse saurait arranger
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