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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Tracy Chevalier
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les affaires, j’avais entendu
raconter au marché qu’ils n’avaient pas payé le boulanger depuis trois ans et
qu’à la mort de mon maître ce dernier s’était montré compatissant envers
Catharina, acceptant un tableau en remboursement de la dette. Pendant un court
instant, je me demandai si Catharina allait me donner à moi aussi un tableau,
en remboursement de ce qu’elle devait à Pieter.
    Cornelia s’éclipsa, j’entrai
dans la grande salle. Celle-ci n’avait guère changé depuis l’époque où je
travaillais chez eux. Les tentures en soie verte autour du lit avaient passé.
Le bahut aux serrures incrustées d’ivoire était toujours là, ainsi que la
table, les fauteuils en cuir espagnol et les portraits de leurs familles
respectives. Tout semblait plus vieux, plus poussiéreux, plus mal en point, les
dalles rouges et brunes étaient craquelées, et, par endroits, il en manquait
même.
    Le dos à la porte, les mains
derrière lui, Van Leeuwenhoek étudiait un tableau représentant des soldats en
train de boire dans une taverne. Il se retourna et inclina la tête en me
voyant, toujours aussi aimable et courtois.
    Catharina était assise devant
la table. Contrairement à ce que j’attendais, elle n’était pas vêtue de noir.
Je ne sais si elle avait ou non cherché à me provoquer, mais elle portait la
veste jaune bordée d’hermine qui paraissait, elle aussi, défraîchie, comme si
elle avait été trop souvent portée. Des accrocs aux manches avaient été mal
raccommodés et les mites en avaient rongé la fourrure par endroits. Néanmoins,
Catharina jouait son rôle de maîtresse de maison élégante. Elle s’était coiffée
avec soin, s’était poudrée et avait mis son collier de perles.
    Son visage n’égalait pas son
élégance. Toute la poudre du monde n’aurait pu cacher sa colère froide, sa
réticence, sa crainte. Elle ne voulait pas me rencontrer, mais elle n’avait pas
le choix.
    « Vous désiriez me voir,
Madame ? » Il me parut souhaitable de m’adresser directement à elle,
même si je regardais Van Leeuwenhoek tandis que je lui parlais.
    « Oui. » Catharina ne
me pria pas de m’asseoir comme elle l’eût fait pour toute autre femme. Elle me
laissa debout.
    Il y eut un silence gêné, elle
étant assise et moi debout, attendant qu’elle commence. Il était clair qu’elle
faisait un gros effort sur elle-même pour parler. Van Leeuwenhoek se balançait
d’un pied sur l’autre.
    Je n’essayai pas de l’aider, je
ne vois d’ailleurs pas comment j’aurais pu. Je regardai ses mains remuer des
papiers sur la table, caresser les bords de son coffret à bijoux qui était
contre son coude, saisir la houppette à poudre pour la poser à nouveau. Elle
s’essuya les mains à un morceau d’étoffe blanche.
    « Vous n’êtes pas sans
savoir que mon mari est mort il y a deux mois, n’est-ce pas ? dit-elle
enfin.
    — Je l’ai appris, Madame,
oui. J’ai été très peinée de l’apprendre. Dieu ait son âme ! »
    Catharina ne parut pas
comprendre mes pauvres paroles. Elle ramassa une fois de plus la houppette,
passant les doigts entre les poils.
    « Voyez-vous, c’est la
guerre avec la France qui nous a mis dans cette situation. À cette époque, même
Van Ruijven ne voulait plus acheter de tableaux. Ma mère avait du mal à
encaisser les loyers. Il fut contraint de rembourser l’hypothèque sur l’auberge
de sa mère. Par conséquent, il n’était pas étonnant que la vie soit devenue
aussi difficile. »
    Une explication de la raison de
leur endettement était bien la dernière chose que j’attendais de Catharina.
Quinze florins n’était pas une bien grosse somme, aurais-je voulu lui dire.
Pieter vous en a fait grâce, n’y pensez plus. Je n’osai toutefois pas
l’interrompre.
    « Et puis il y avait les
enfants. Vous rendez-vous compte de la quantité de pain que mangent onze
enfants ? » Elle me lança un rapide coup d’oeil, puis elle contempla à
nouveau la houppette.
    Ils dévorent en trois ans la
valeur d’un tableau, répondis-je en silence. La valeur d’un très beau tableau,
aux yeux d’un boulanger compatissant.
    J’entendis claquer une dalle
dans le couloir et un froufrou de robe qu’une main réprimait. Cornelia est
encore en train d’épier, pensai-je. Elle aussi a son rôle à jouer dans ce
drame.
    J’attendis, retenant mes
questions.
    Van Leeuwenhoek parla enfin.
« Voyez-vous, Griet, lorsqu’il y a un testament,

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