La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
dit-il, inséparables comme le saint trèfle ; et de même qu’on dit que celui qui porte cette herbe sacrée brave les déceptions de la magie, ainsi tant que nous nous serons fidèles l’un à l’autre, nous pouvons braver la haine et la méchanceté.
Le frère et le fils baisèrent la main affectueuse qui pressait la leur, pendant que Robert III exprimait la confiance qu’il mettait dans leur affection. Le baiser du jeune homme était alors sincère ; celui du frère était le baiser perfide de Judas.
Pendant ce temps, la cloche de l’église de Saint-Jean alarmait les habitans de Curfew-Street comme les autres. Dans la maison de Simon Glover, la vieille Dorothée Glover, comme on l’appelait (car elle empruntait aussi son nom du métier qu’elle pratiquait sous les auspices de son maître), fut la première à l’entendre. Quoiqu’un peu sourde dans les occasions ordinaires, lorsqu’il s’agissait d’une mauvaise nouvelle son oreille était aussi prompte à la saisir qu’un milan à fondre sur sa proie ; car Dorothée, qui du reste était une bonne créature, fidèle et même affectionnée, avait pour recueillir et pour répéter les bruits sinistres une espèce de passion qu’on remarque souvent dans les gens du peuple : peu accoutumés à être écoutés, ils aiment l’attention que le récit d’un événement tragique assure à celui qui le fait, et trouvent peut-être une sorte de jouissance dans l’égalité à laquelle le malheur réduit momentanément ceux qui sont regardés ordinairement comme leurs supérieurs. Dorothée n’eut pas plus tôt fait une petite provision des bruits qui circulaient dans la ville, qu’elle entra précipitamment dans la chambre de son maître, qui avait profité du privilége de l’âge et de la fête pour dormir plus longtemps qu’à l’ordinaire.
– Le voilà étendu bien tranquillement dans son lit, le cher homme ! dit Dorothée d’un ton moitié criard moitié plaintif ; le voilà ! son meilleur ami a été assassiné, et il ne s’en doute pas plus que l’enfant qui vient de naître ne sait distinguer la vie de la mort.
– Hem ! qu’y a-t-il ? dit Glover en sautant à bas de son lit ; qu’est-ce, vieille femme ? comment va ma fille ?
– Vieille femme ! dit Dorothée qui, tenant son poisson au bout de l’hameçon, aimait à le laisser jouer un peu ; je ne suis pas assez vieille, s’écria-t-elle en sortant précipitamment de la chambre, pour voir sortir un homme de son lit. Et l’instant d’après on l’entendit dans le parloir, chantant mélodieusement en poussant son balai.
– Dorothée ! vieille femme ! démon ! Dites-moi seulement comment va ma fille.
– Très bien, mon père, répondit la Jolie Fille de Perth dans sa chambre à coucher ; parfaitement bien. Mais, bon Dieu ! que se passe-t-il donc ? les cloches sonnent à rebours , et l’on entend des cris affreux dans les rues.
– Je vais le savoir tout à l’heure. Hé ! Conachar, venez vite attacher mes lacets… J’oubliais que le butor est bien plus loin que Fortingall. Patience, ma fille, tout à l’heure je vous apporterai des nouvelles.
– Vous n’avez pas besoin de vous presser pour cela, dit la vieille femme opiniâtre ; on peut tout vous conter d’un bout à l’autre avant que vous ayez pu vous traîner jusqu’à la porte j’ai appris toute l’histoire en sortant ; car, me disais-je, notre maître veut tellement en faire à sa tête, qu’il va falloir qu’il courre à la bagarre, quelle qu’en soit la cause ; par ainsi, c’est à moi de remuer les jambes et d’aller apprendre ce que tout cela veut dire : autrement il voudra aller fourrer son nez là-dedans, et il se fera pincer sans savoir seulement pourquoi.
– Eh bien ! que se passe-t-il donc, vieille femme ? dit l’impatient Glover toujours occupé à nouer les cent lacets qui servaient à attacher son pourpoint à sa culotte.
Dorothée le laissa continuer sa besogne jusqu’à ce qu’elle pût croire qu’il avait à peu près fini. Alors prévoyant que si, elle ne lui disait pas elle-même le secret, son maître sortirait pour aller savoir la cause de tout ce bruit, elle lui cria de loin : – Eh bien ! eh bien ! vous ne pourrez pas dire que c’est ma faute si vous apprenez une mauvaise nouvelle avant d’avoir été à la messe. J’aurais voulu ne vous le dire qu’après que vous auriez entendu la parole du prêtre ; mais puisqu’il faut que
Weitere Kostenlose Bücher